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Contribution de Maître Eckhart au Dialogue Interreligieux
8 août 2015

COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE; LE DIEU RÉDEMPTEUR : QUESTIONS CHOISIES (1995)

 

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COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE

 

LE DIEU RÉDEMPTEUR : QUESTIONS CHOISIES*

(1995)

   

 

Le Dieu Rédempteur : questions choisies, 1995

COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE LE DIEU RÉDEMPTEUR : QUESTIONS CHOISIES * (1995) 1. La condition humaine et la réalité de la rédemption a) La situation de fait. [1] Une approche adéquate de la théologie de la rédemption aujourd'hui doit commencer par une esquisse de l'authentique enseignement chrétien sur la rédemption et son impact sur la condition humaine, conforme à l'enseignement que l'Église a promulgué au long de sa tradition.

http://www.vatican.va

 

 

 

 

1. La condition humaine et la réalité de la rédemption

a) La situation de fait.

[1] Une approche adéquate de la théologie de la rédemption aujourd’hui doit commencer par une esquisse de l’authentique enseignement chrétien sur la rédemption et son impact sur la condition humaine, conforme à l’enseignement que l’Église a promulgué au long de sa tradition.

[2] Il faut en premier lieu affirmer que la doctrine de la rédemption intéresse ce que Dieu a accompli pour nous dans la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ, à savoir la suppression des obstacles se trouvant entre Dieu et nous et l’offre de nous faire participer à la vie de Dieu. En d’autres termes, la rédemption porte sur Dieu (en tant qu’auteur de notre rédemption) avant de porter sur nous : c’est seulement pour cette raison que la rédemption peut vraiment signifier pour nous la libération, et qu’elle peut être pour toujours et à jamais la Bonne Nouvelle du Salut. Ainsi, c’est uniquement parce que la rédemption concerne primordialement la glorieuse bonté de Dieu, plutôt que nos besoins, qu’elle prend soin de ces besoins, c’est-à-dire qu’elle est pour nous une réalité libératrice. S’il fallait à l’inverse juger ou évaluer la rédemption d’après les besoins existentiels des hommes, comment pourrions-nous échapper au soupçon d’avoir simplement créé un Dieu-Rédempteur à l’image de nos propres besoins ?

[3] Il y a là un parallèle avec ce que nous trouvons dans la doctrine de la création. Dieu créa toutes choses, il créa les êtres humains à sa propre image et il trouva sa création « très bonne[1] ». Tout cela précède le commencement de notre histoire dans laquelle l’activité humaine ne s’avère pas aussi purement « bonne » que la création de Dieu. Pourtant, fondé sur les Écritures, l’enseignement de l’Église à travers les siècles a toujours été que l’image de Dieu dans l’homme, fût-elle souvent obscurcie et défigurée dans l’histoire à cause du péché originel et de ses effets, n’a jamais été complètement supprimée ou détruite. L’Église croit que les pécheurs n’ont pas été abandonnés par Dieu mais que Dieu, dans son amour rédempteur, destine le genre humain (et, en vérité, tout l’ordre créé) à un avenir glorieux qui est déjà présent en germe dans et par l’Église. Du point de vue chrétien, ces considérations étayent et confirment la conviction selon laquelle la vie, ici et maintenant, vaut la peine d’être vécue. Cependant, tout appel à « professer la vie » en général ou à « dire “oui” à la vie », pour pertinent et appréciable qu’il soit, n’épuise pas le mystère de la rédemption tel que l’Église essaie de le vivre.

[4] La foi chrétienne veille donc, d’une part, à ne pas diviniser ou idolâtrer les hommes en raison de leur grandeur, de leur dignité et de leurs réussites, et d’autre part à ne pas les condamner ni les écraser à cause de leurs échecs et de leurs méfaits. La foi chrétienne ne sous-estime pas le potentiel et le désir humains de développement et de plénitude, ni les réussites auxquelles l’actualisation de ce potentiel et de ce désir peut effectivement mener. Non seulement ces réussites ne sont pas regardées a priori par la foi comme des obstacles à dépasser ou comme des adversaires à vaincre, mais elles sont d’emblée évaluées positivement. Des premières pages du livre de la Genèse jusqu’aux encycliques des papes récents, l’invitation adressée aux hommes (et, bien sûr, aux chrétiens en premier lieu) est toujours d’organiser le monde et la société de façon à améliorer à tous les niveaux les conditions de la vie humaine et, au-delà, de favoriser le bonheur des individus, de promouvoir la justice et la paix parmi tous et, autant qu’il est possible, de stimuler un amour qui, traduit en paroles et en actes, n’exclue personne sur la surface de la terre.

[5] Quant au mal et à la souffrance des hommes, ils ne sont aucunement sous-estimés par la foi : il n’est absolument pas vrai que, sous prétexte que la foi proclame le bonheur éternel dans le monde à venir, elle tende à ignorer les multiples sortes de maux et de souffrances qui affligent les hommes ni l’évidente tragédie collective inhérente à maintes situations. Mais la foi ne se réjouit pas pour autant du mal ni des temps d’épreuve en eux-mêmes, comme si elle ne pouvait pas exister sans eux.

[6] Dans ce domaine, du moins dans un premier temps, la foi se borne à constater et à prendre note. Il n’est donc pas acceptable d’accuser la foi de fermer les yeux ; et il est tout aussi inacceptable de s’en prendre à la foi et de l’accuser de traiter le mal et la souffrance comme des faits déterminants sans lesquels la foi n’aurait pas de fondement crédible, comme si, en bref, l’unique fondement et la condition sine qua non de la foi devaient être la misère de la condition humaine ainsi que les effets et la reconnaissance d’une situation si dramatique.

[7] En réalité, le mal et la souffrance ne sont pas d’abord l’un des rouages de quelque interprétation théologique de la vie, mais ils sont une expérience universelle. Et le premier mouvement de la foi, face au mal et à la souffrance, n’est pas de les exploiter à ses propres fins ! Si la foi chrétienne les prend en compte, c’est d’abord dans le seul but d’établir une évaluation cohérente et honnête de la situation historique réelle et concrète du genre humain. Et le seul souci de la foi est de savoir si, comment et à quelles conditions sa vision de cette situation historique concrète est encore susceptible de gagner l’attention et l’adhésion de nos contemporains, tout en prenant en compte leurs propres analyses de cette condition et les attitudes qu’ils adoptent dans les différentes situations qu’ils doivent affronter.

[8] Il est vrai cependant que la foi chrétienne a une approche spécifique de la condition humaine, qui à maints égards éclaire ce que beaucoup de visions du monde non chrétiennes affirment à leur manière. Premièrement, la foi souligne que le mal apparaît comme étant toujours déjà là dans l’histoire et dans l’humanité : le mal transcende et précède toutes nos responsabilités individuelles et semble provenir de « puissances » et même d’un « esprit » qui sont présents avant que nous n’agissions et qui, dans une certaine mesure, sont extérieurs à toute conscience et volonté personnelles agissant ici et maintenant.

[9] Deuxièmement, la foi signale que le mal et la souffrance qui affectent la condition historique des êtres humains ont aussi, et même dans une large mesure, leur source dans le cœur des hommes, dans leurs réflexes égoïstes, leur soif de plaisir et de puissance, leur complicité silencieuse dans le mal, leur lâche capitulation devant le mal, leur terrible dureté de cœur. Cependant, la révélation biblique et la foi chrétienne ne désespèrent pas de l’homme ; au contraire, elles continuent à en appeler à son libre arbitre, à son sens de la responsabilité, à sa capacité d’agir résolument en vue d’un changement, et à ces moments de vive conscience dans lesquels ces facultés peuvent être exercées de manière efficace. La foi croit en effet que tous sont fondamentalement capables de se distancer de tout ce qui les conditionne négativement, et d’abandonner leur propre égoïsme et leur égocentrisme afin de s’engager au service des autres et par là de s’ouvrir eux-mêmes à une vivante espérance susceptible même de surpasser tous leurs désirs.

[10] Ainsi, pour la foi chrétienne, les hommes sont, par un état de fait historique, éloignés de la sainteté de Dieu à cause du péché, et cela au-delà du fait que nous sommes distincts de Dieu parce que nous sommes créés et non pas intrinsèquement divins. Cette double différence entre Dieu et l’humanité est attestée par les Écritures et présupposée par tous les écrits authentiquement chrétiens de la période post-biblique. Mais l’initiative divine de se tourner par amour vers l’humanité pécheresse est un trait constant des rapports de Dieu avec nous avant et durant l’histoire ; elle constitue le présupposé fondamental de la doctrine de la rédemption. La dialectique de la grâce et du péché présuppose ainsi qu’avant l’entrée du péché dans le monde, la grâce de Dieu avait déjà été offerte aux hommes. La logique interne de la conception chrétienne de la condition humaine veut aussi que Dieu soit l’auteur du salut, puisque ce qui a besoin d’être guéri et sauvé n’est rien de moins que la propre image de Dieu lui-même en nous.

[11] Pour la foi chrétienne, la valeur de la nature humaine créée est ainsi garantie dès le départ par Dieu lui-même ; elle est indestructible et, pareillement, la réalité de la rédemption a été obtenue et est aussi garantie par Dieu dans le Christ pour toujours. L’Église enseigne que la création comme le salut sont enracinés dans la bonté et la liberté gracieuses et insondables de Dieu, qui de notre point de vue demeurent incompréhensibles, inexplicables et merveilleuses. La recherche d’une intelligence de ces réalités jaillit d’un acte ou d’une attitude d’action de grâces qui sont préalables, non déductibles et par conséquent irréductibles[2].

[12] Même si une totale compréhension de la rédemption nous est assurément impossible, une certaine intelligence de la doctrine sur ce sujet est cependant non seulement possible mais exigée par la nature même de la rédemption qui intéresse la vérité, la valeur et la destinée ultime de tout le créé. Si nulle tentative d’intelligence de la rédemption n’était autorisée, le caractère raisonnable de la foi en serait ébranlé à la racine, on dénierait à la foi la légitime recherche d’intelligence, et le résultat en serait le fidéisme. En outre, puisque tout l’homme est sauvé par le Christ, il doit être possible d’en montrer la vérité dans l’ordre intellectuel[3].

[13] Pour la foi chrétienne, la vérité du salut a toujours spécialement éclairé les aspects de la condition humaine qui font ressortir avec le plus d’évidence le besoin de salut chez les hommes. Ceux-ci font l’expérience, à plusieurs niveaux, d’une vie éclatée avec ses insuffisances et ses frustrations. Dans la mesure où les hommes se jugent souvent responsables de la qualité fragmentaire et peu satisfaisante de leur expérience, ils confessent, en langage traditionnel, leur péché. Cependant, s’il faut peindre le tableau complet de la condition humaine, il faut aussi relever les aspects suivants de la vie qui défigurent et détruisent l’existence humaine et dont personne n’est apparemment directement responsable, car ces aspects parlent éloquemment du besoin de rédemption chez les hommes. Des réalités comme la famine, la peste, les catastrophes naturelles, la maladie, la souffrance physique, la souffrance mentale et la mort elle-même montrent que le mal, ainsi que la tradition chrétienne l’a bien sûr toujours considéré, n’est aucunement épuisé par ce qu’on appelle le malum culpae (le mal moral), mais il recouvre aussi le malum poenae (la souffrance), qu’il s’agisse là d’un mal en soi ou qu’il provienne des limites de la nature. Traditionnellement, pourtant, comme en témoigne la Bible elle-même, toute souffrance (et d’ailleurs la mort elle-même) a été comprise comme découlant du péché, « le mystère d’iniquité » selon l’expression de saint Paul[4].

[14] Si les défis qui viennent d’être évoqués représentent les difficultés existentielles les plus fondamentales que rencontrent les hommes, il existe également tout un éventail de problèmes plus personnels auxquels les gens sont confrontés. D’abord, en tant qu’individus, ils ont des difficultés à atteindre un équilibre personnel et intérieur. En deuxième lieu, ils ont des difficultés à vivre en harmonie avec leurs semblables, comme le montre l’histoire des guerres avec son cortège de cruautés et d’horreurs. En troisième lieu, la question écologique reflète tragiquement dans le monde contemporain leur incapacité à vivre en harmonie avec le monde non humain. En quatrième lieu, lorsque les pressions de la vie s’intensifient, on peut facilement voir surgir le soupçon que l’existence humaine est vouée à l’échec et ultimement au non-sens. Derrière ces points critiques, la question est en définitive celle de la quête encore inachevée de l’humanité, une quête de paix avec Dieu entravée par la puissante et omniprésente réalité du péché.

[15] Cette esquisse préliminaire qui indique comment, pour la foi chrétienne, la vérité du salut éclaire la condition humaine, doit être complétée par une appréciation de la façon dont aujourd’hui les hommes voient eux-mêmes leur propre situation historique.

[16] Cependant, nous entreprendrons d’abord de passer brièvement en revue les conceptions de la rédemption mises en avant par les grandes religions du monde. Dans la section consacrée à cet examen, nous laisserons de côté le judaïsme dans lequel le christianisme s’enracine et avec lequel il partage une vision de la rédemption fondée sur la souveraine bienveillance du Dieu créateur envers le genre humain égaré, telle que l’exprime l’Alliance.

b) Rapports avec les religions universelles.

[17] L’hindouisme n’est pas une religion monolithique. C’est plutôt une mosaïque de croyances et de pratiques religieuses qui entendent offrir au genre humain rédemption et salut. Bien que l’hindouisme védique primitif fût polythéiste, la tradition védique tardive en vint à désigner la Réalité ultime, également connue sous le nom d’« Atman » ou « Brahman », comme l’Un d’où sortirent toutes choses sous un mode de manifestation spécifique, en forme de triade. Le « Brahman » lui-même est incompréhensible et sans forme mais il est également l’être conscient et existant par soi-même qui est la plénitude de la Béatitude. À un plan plus populaire et personnel, des divinités comme Shiva, destructeur de l’imparfait, Vishnu et ses « avatars » (« incarnations ») comme Ram l’illuminé, Krishna et la déesse mère Shakti, correspondent aux attributs de la Réalité suprême. Les « incarnations » de Dieu descendent sur terre pour s’occuper du mal quand il y devient puissant.

[18] En reconnaissant qu’il s’agit là d’une simplification outrancière, on pourrait dire que pour l’hindouisme, l’homme est une étincelle du divin, une âme (atman) enfermée dans un corps à cause de l’avidya ou « ignorance », qu’il s’agisse d’une espèce d’ignorance métaphysique de la vraie nature de chacun ou d’une espèce d’ignorance originelle. En conséquence, l’homme est soumis à la loi du karma ou « renaissance », le cycle des naissances et des renaissances étant connu sous le nom de karma samsara ou « loi de rétribution ». Le désir égoïste, menant à l’ignorance spirituelle, est la source de tout mal, du malheur et de la souffrance dans le monde.

[19] Pour l’hindouisme, la rédemption (exprimée par des mots comme moksha et mukti) est donc la libération de la loi du karma. Bien que les hommes puissent progresser vers leur salut de trois manières qui ne s’excluent pas mutuellement (par un agir désintéressé, par l’intuition spirituelle et par une piété aimante envers Dieu), la dernière étape de communion salvifique avec Dieu ne saurait être atteinte sans le secours de la grâce.

[20] Au sujet du bouddhisme, on peut commencer par dire que Bouddha, aux prises avec la souffrance du monde, rejeta l’autorité des Vedas et l’utilité des sacrifices, jugeant par ailleurs vaines les spéculations métaphysiques sur l’existence de Dieu et de l’âme. Il chercha la délivrance de la souffrance à partir de l’intérieur de l’homme même. Il eut pour intuition centrale que le désir de l’homme est la racine de tout mal et de tout malheur – engendrant à son tour l’« ignorance » (avidya) – et la cause ultime du cycle des naissances et des renaissances.

[21] Après le Bouddha se développèrent plusieurs écoles de pensée qui articulèrent ses simples enseignements de base en systèmes présentant la doctrine du karma comme la tendance, inhérente à l’agir, à renaître. Dans le déroulement de son histoire, la vie humaine n’a pas de fil existentiel unificateur personnel et consistant ; elle est seulement constituée par les fragments, sans lien existentiel, que sont la naissance, la croissance, le déclin et la mort. La doctrine de l’anicca ou de la « non-permanence » de toute réalité est centrale dans le bouddhisme. L’idée d’impermanence existentielle exclut la possibilité de l’existence d’un atman, d’où le silence du Bouddha sur l’existence de Dieu ou de l’atman. Tout est apparence (maya). On ne peut rien dire du réel, ni positivement ni négativement.

[22] La rédemption, pour le bouddhisme, consiste donc en un état de libération (nirvana) de ce monde de l’apparence, une libération de la nature fragmentaire et de l’impermanence de l’existence, obtenue par la suppression de tout désir et de toute conscience. Cette libération donne d’atteindre un état de vide, pur et indéterminé. Radicalement différent du tourment passager de ce monde de maya, le nirvana (littéralement « extinction » ou « épuisement », en l’occurrence de tout désir, à l’image de la flamme d’une bougie qui s’éteint quand la cire s’est consumée) échappe à toute définition terrestre mais il n’est pas simplement un état de pure extinction ou d’annihilation totale. Le nirvana n’est pas un objectif intellectuel mais une expérience indéfinissable. C’est la libération de tous les désirs et envies, l’affranchissement du cycle des renaissances et de la souffrance (dukkha). La plus parfaite voie de libération, pour les bouddhistes, est le Chemin Octuple qui met principalement l’accent sur l’effort humain : la juste intelligence, la juste intention, la juste parole, la juste conduite, la juste action, le juste effort, la juste contemplation et le juste recueillement (vinayana pitaka). Dans la perspective du bouddhisme, toutes les autres voies religieuses sont imparfaites et secondaires.

[23] Comme le judaïsme et le christianisme, l’islam (« soumission ») est une religion monothéiste et d’alliance, avec une ferme foi en Dieu Créateur de toutes choses. Comme son nom l’indique, il voit la clé de la vraie religion, et donc du salut, dans la foi, la confiance et la totale soumission à la volonté de Dieu, le Très-Miséricordieux.

[24] Selon la foi des musulmans, la religion de l’islam a été révélée par Dieu au tout début de l’humanité et confirmée par les alliances successives avec Noé, Abraham, Moïse et Jésus. L’islam se considère lui-même comme l’achèvement et l’accomplissement de toutes les alliances ayant existé depuis le commencement.

[25] L’islam ne connaît pas le concept de péché originel, et la signification chrétienne de la rédemption est étrangère à la pensée islamique. Simplement, tous les hommes sont vus comme ayant besoin d’un salut qu’ils ne peuvent obtenir qu’en se tournant vers Dieu avec une foi totale. Le concept de salut s’exprime également en termes de « réussite » ou de « prospérité ». Cependant, ce sont des termes comme « sécurité » ou « protection » qui rendent au mieux l’idée de salut : en Dieu, le genre humain trouve la sécurité parfaite. La plénitude du salut, conçue en termes de délices corporels et spirituels[5], n’est atteinte qu’au Dernier Jour avec le Jugement Dernier et la vie dans l’au-delà (akhira). L’islam croit en une sorte de prédestination en matière de salut, qu’il s’agisse de béatitude au paradis ou de souffrance dans le feu de l’enfer (nar), mais l’homme demeure libre de répondre par la foi et les bonnes œuvres. Les moyens d’atteindre le salut, outre la profession de foi, sont les suivants : la prière rituelle, l’aumône légale, le jeûne du Ramadan et le pèlerinage à la maison de Dieu, à La Mecque. Quelques traditions ajoutent à ces moyens le jihad ou « combat », comme la guerre sainte pour étendre ou défendre l’islam ou, plus rarement, comme le combat spirituel personnel.

[26] En dehors des grandes religions mondiales classiques, il y a d’autres religions, diversement appelées traditionnelles, primitives, tribales ou naturelles. Les origines de ces religions remontent à la nuit des temps. Leurs croyances, cultes et codes moraux sont transmis par tradition orale.

[27] Les adeptes de ces religions croient en un Être Suprême, identifié sous différents noms et reconnu comme le créateur de toutes choses, lui-même étant incréé et éternel. Cet Être Suprême a délégué la gérance des affaires du monde à des divinités inférieures connues comme esprits. Ces esprits exercent une influence sur le bien-être ou le malheur des hommes. Il est très important pour la félicité humaine de rendre ces esprits propices. Dans les religions traditionnelles, le sens de la communion d’un groupe avec les ancêtres du clan, de la tribu ou plus largement de la famille humaine, est important. Les ancêtres défunts sont révérés et vénérés de diverses manières sans être pour autant adorés.

[28] La plupart des religions traditionnelles comportent des mythes et des récits épiques qui parlent d’un état de béatitude avec Dieu, de la chute d’une condition idéale et de l’attente d’une sorte de sauveur-rédempteur qui rétablira la relation perdue et qui apportera la réconciliation et la béatitude. Le salut est conçu en termes de réconciliation et d’harmonie avec les ancêtres défunts, les esprits et Dieu.

c) La doctrine chrétienne de la rédemption et le monde moderne.

[29] Outre les conceptions de la rédemption avancées par les grandes religions universelles et les religions traditionnelles ancestrales (plus circonscrites) de beaucoup de cultures humaines, il faut encore prêter attention à d’autres mouvements et styles de vie alternatifs contemporains qui promettent le salut à leurs adeptes (par exemple, les cultes modernes, les nombreux et divers mouvements du New Age et les idéologies d’autonomie, d’émancipation et de révolution). La prudence est néanmoins de mise en ce domaine et, dans la mesure du possible, il faut éviter le risque d’une simplification outrancière.

[30] Il serait trompeur, par exemple, de laisser supposer que nos contemporains se répartissent nécessairement en deux catégories : celle d’une « modernité » sûre d’elle-même, croyant en la possibilité d’une auto-rédemption, et celle d’une « postmodernité » sans illusion, désespérant de toute amélioration de la condition humaine à partir « du dedans », pour ainsi dire, et n’attendant plus de salut que de « l’extérieur ». En réalité, on trouve plutôt un pluralisme culturel et intellectuel, un vaste éventail d’analyses diversifiées de la condition humaine et une diversité d’approches pour essayer d’en rendre compte. Parallèlement à une sorte de fuite dans le divertissement ou dans un hédonisme aux charmes fascinants mais éphémères, on se replie sur diverses idéologies et sur de nouvelles mythologies. À côté d’un stoïcisme plus ou moins résigné, lucide et courageux, on rencontre un désabusement prétendant à la clarté d’esprit et au réalisme, aussi bien qu’une protestation résolue contre la réduction des hommes et de leur environnement à des ressources marchandes susceptibles d’être exploitées, et contre la corrélative relativisation, sous-estimation et finalement banalisation du côté sombre de l’existence humaine.

[31] Il est donc un fait parfaitement clair dans la situation contemporaine : la condition concrète des hommes est pleine d’ambiguïtés. Il serait possible de décrire de plusieurs façons les deux « pôles » entre lesquels sont en fait écartelés chaque individu et l’humanité en général. Par exemple, il y a en tout homme, d’une part, une irréductible soif de vie, de bonheur et de plénitude ; et d’autre part, l’inévitable expérience des limites, de l’insatisfaction, de l’échec et de la souffrance. Si l’on passe de l’individuel au général, on découvre le même tableau à une plus large échelle. Là aussi, on observe, d’une part, l’immense progrès qui a été rendu possible par la science et la technologie, par l’extension des moyens de communication, et par les progrès dans, par exemple, les domaines juridiques privé, public et international ; mais, d’autre part, il faudrait aussi relever tant de catastrophes dans le monde et, parmi les hommes, tant de corruption, avec pour conséquence l’oppression et l’exploitation terribles endurées par un très grand nombre de personnes qui deviennent les victimes impuissantes de ce qui ne peut en fait que leur apparaître comme un destin cruel. Il est clair que, avec des accents différents, tout optimisme béat face au progrès général et universel par la technologie a sensiblement perdu du terrain aujourd’hui. Et c’est dans le contexte contemporain d’extension de l’injustice et de manque d’espérance que la doctrine de la rédemption doit être proposée aujourd’hui.

[32] Il importe cependant de noter que la foi chrétienne ne s’empresse pas de juger : ni en faveur d’un rejet en bloc, ni en faveur d’un aval inconditionnel. Procédant avec bienveillance aussi bien qu’avec discernement, elle ne manque pas d’observer, dans la grande variété des analyses et des attitudes qu’elle rencontre, plusieurs intuitions fondamentales qui lui semblent correspondre en elles-mêmes à une profonde vérité sur l’existence humaine.

[33] La foi remarque aussi, par exemple, qu’en dépit de leurs limites et en eux-mêmes, les hommes ne laissent pas de rechercher un possible « accomplissement » de leur vie ; qu’ils font l’expérience du mal et de la souffrance comme d’une réalité, pour le dire en un mot, profondément « a-normale » ; que les différentes formes de protestation soulevées par cet horizon sont déjà par elles-mêmes le signe que les hommes ne peuvent s’empêcher de rechercher « quelque chose d’autre », « quelque chose de plus », « quelque chose de mieux ». Et finalement, par conséquent, la foi chrétienne voit que nos contemporains ne cherchent pas seulement une explication à leur condition mais qu’ils attendent ou espèrent (qu’ils l’avouent ou non) une délivrance effective du mal ainsi qu’une confirmation et un accomplissement de tout ce qui est positif dans leur vie : le désir du bien et du mieux, etc.

[34] Cependant, si l’Église reconnaît l’importance d’essayer de comprendre et d’évaluer les véritables problèmes rencontrés par les hommes dans le monde, les réactions divergentes qu’ils suscitent et les propositions concrètement faites pour y porter remède, elle reconnaît aussi le besoin de ne jamais perdre de vue la question essentielle sous-jacente à ces problèmes (et nécessairement aussi sous-jacente à toute proposition avancée pour les résoudre), la question de la vérité : quelle est la vérité de la condition humaine ? Quelle est la signification de l’existence humaine et, dans la perspective du présent lui-même, qu’est-ce que les hommes peuvent ultimement espérer ? En présentant au monde la doctrine de la rédemption, l’Église a l’occasion de toucher des points de vue divers et variés sur les questions ultimes en se concentrant sur l’aspect de la foi chrétienne en la rédemption qui est peut-être le plus décisif pour l’humanité : l’espérance. Car la rédemption est la seule réalité assez forte pour satisfaire le véritable besoin des hommes, et la seule réalité ayant assez de profondeur pour convaincre les hommes de ce qui est réellement en eux[6]. Ce salutaire message d’espérance repose sur les deux doctrines clés du christianisme : celle du Christ et celle de la Trinité. On trouve dans ces doctrines l’ultime fondement de la conception chrétienne de l’histoire humaine et de la personne humaine faite à l’image du Dieu Un et Trine – Unité dans la Communion –, sauvée par amour par le Fils unique de Dieu, Jésus-Christ, en vue de participer à la vie divine : c’est principalement pour cela que nous avons été créés. Et c’est cette participation que signifie la doctrine de la résurrection des corps, quand les hommes dans leur réalité totale auront part à la plénitude de la vie divine.

[35] L’évaluation chrétienne de la condition humaine ne se situe donc pas à part mais elle s’inscrit dans une vision plus large, centrée sur la conception chrétienne de Dieu et de la relation de Dieu envers le genre humain et tout l’ordre créé. Cette vision plus large s’entend d’une Alliance que Dieu a voulue et veut pour le genre humain. C’est une Alliance par laquelle Dieu entend associer les hommes à sa vie, accomplissant (même au-delà de ce qu’ils peuvent désirer ou concevoir) tout ce qui est positif en eux, et les libérant de tout ce qui est négatif en eux et qui entrave leur vie, leur bonheur et leur développement.

[36] Mais il est essentiel de remarquer que si la foi chrétienne parle en ces termes de Dieu et de sa volonté d’instaurer une Alliance avec les hommes, ce n’est pas parce que nous aurions été informés des intentions de Dieu par mode de simple enseignement. C’est parce que, de façon beaucoup plus radicale, Dieu est littéralement intervenu dans l’histoire et a agi au cœur même de cette histoire par ses « hauts faits », en premier lieu au long de toute l’Ancienne Alliance, mais suprêmement et définitivement par et en Jésus-Christ, son propre et véritable Fils unique, entré par l’incarnation dans la condition humaine en sa forme pleinement concrète et historique.

[37] Strictement parlant, il s’ensuit que pour exposer ce qu’ils ont à dire sur la condition humaine, les croyants ne commencent pas par s’interroger sur elle pour ensuite se demander quel éclairage supplémentaire le Dieu qu’ils confessent peut bien lui conférer. Corrélativement, et toujours strictement parlant, les chrétiens ne commencent pas par poser Dieu en vertu d’un type d’argumentation ou, du moins, à la faveur d’une réflexion purement abstraite, pour ensuite, en un second temps, apprécier quel éclairage cette reconnaissance préalable de son existence pourrait finir par jeter sur la destinée historique de l’humanité.

[38] En réalité, pour la révélation biblique et donc pour la foi chrétienne, connaître Dieu, c’est le confesser sur la base de ce qu’il a fait lui-même pour les hommes, les révélant pleinement à eux-mêmes dans l’acte même de sa propre révélation à eux, précisément par son entrée en relation avec eux : en instaurant et en leur offrant une Alliance et, dans ce but, en allant jusqu’à entrer dans leur propre condition humaine et à s’incarner.

[39] C’est finalement dans cette perspective que la vision de l’homme et de la condition humaine mise en avant par la foi chrétienne acquiert toute sa spécificité et toute sa richesse.

[40] Enfin, il faut prêter attention à ce que l’on pourrait appeler le débat interne au christianisme sur la rédemption, spécialement à la question de savoir quel lien la souffrance et la mort du Christ entretiennent avec l’obtention de la rédemption du monde. L’importance de cette question s’intensifie aujourd’hui en de nombreux milieux qui perçoivent combien certaines façons traditionnelles de comprendre l’œuvre de rédemption accomplie par le Christ en termes de compensation ou de châtiment pour nos péchés sont insatisfaisantes, ou du moins exposées à de graves et dangereux malentendus. En outre, le problème du mal et de la souffrance n’a pas perdu de son acuité avec le temps ; il est même allé plutôt en s’intensifiant et, chez beaucoup durant ce siècle, face à la brutalité des faits, la capacité de croire qu’on peut en traiter convenablement a été sapée. Dès lors, il semble important de repenser la façon dont la rédemption révèle la gloire de Dieu. Il faut se demander si la tentative de comprendre la doctrine de la rédemption ne serait pas, au fond, un exercice de théodicée, un effort destiné à répondre de façon crédible au « mystère d’iniquité » (suivant l’expression paulinienne) à la lumière de la foi chrétienne. Dieu répond par le mystère du Christ et de l’Église. Bref, la rédemption est-elle la justification donnée par Dieu, c’est-à-dire la plus profonde révélation qu’il nous fait de lui-même et, par là, le don de la paix « qui surpasse toute intelligence[7] » ?

[41] L’objectif de ce document n’est pas de traiter exhaustivement tout le champ de la théologie de la rédemption mais d’affronter certaines questions choisies de la théologie de la rédemption qui se posent avec plus d’insistance dans l’Église aujourd’hui.

2. La rédemption biblique ou la possibilité de la liberté

[1] Le témoignage biblique reflète une interminable quête du sens ultime de la condition humaine[8]. Pour Israël, Dieu se fait connaître par la Torah ; et pour le christianisme, Dieu se fait connaître par la personne, l’enseignement, la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth. Cependant, la Loi aussi bien que l’Incarnation laissent encore l’humanité dans l’ambiguïté d’une révélation donnée mais assortie d’une histoire humaine qui ne correspond pas aux vérités révélées. Nous continuons « à gémir intérieurement dans l’attente de la rédemption de notre corps[9] ».

[2] L’homme affronte une situation dramatique où tous les efforts pour se libérer de la souffrance et de l’esclavage qu’il s’impose à lui-même sont voués à l’échec. Finis de par notre origine d’êtres créés, infinis de par l’appel à ne faire qu’un avec le Créateur, nous ne sommes pas capables, au moyen de nos propres efforts, de passer du fini à l’infini. Ainsi, le chrétien regarde-t-il plus loin que la réussite humaine. « Notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi[10]. »

[3] Dans sa législation civile, Israël avait déjà l’idée d’un « rédempteur » (go’el). Les familles pouvaient payer une rançon pour un parent afin de préserver l’unité familiale[11]. L’importance de cette unité familiale est sous-jacente à des institutions légales telles que le mariage lévirat[12], la vengeance du sang[13] et l’année jubilaire[14]. La Loi israélite permet à un condamné d’être racheté[15]. Le paiement du kofer libère la personne coupable, sa famille, la famille lésée et toute la communauté, dans la mesure où le conflit est résolu. Dans certains récits de l’Ancien Testament se déroulent des actes rédempteurs qui s’enracinent dans cet arrière-plan légal. Par l’offrande de soi de Juda, qui annule le crime contre Joseph[16], la famille est sauvée de la vengeance. Pareillement, Jacob, qui avait volé à ésaü sa bénédiction d’héritier, la compense avec une large part de son bien[17]. La vengeance est évitée.

[4] La religion d’Israël a développé une liturgie d’expiation. Elle consistait en un geste d’hommage symbolique par lequel le coupable couvre et règle une dette envers le Seigneur. Les principaux éléments de cette liturgie étaient les suivants.

(a) Les rites sont d’institution divine (lieux saints, clergé et rites ordonnés par le Seigneur).

(b) Le Seigneur est le seul qui pardonne[18].

(c) Tous les rites sont sacrificiels et comportent en général des sacrifices sanglants dans lesquels le sang qui représente la vie est versé. Le Seigneur donne le sang aux hommes pour le rite du pardon[19]. Le sang des sacrifices exprime la gratuité du pardon au plan de l’expression rituelle.

[5] Le peuple saint, et spécialement Moïse puis les prophètes après lui, avaient beaucoup de prix aux yeux de Dieu. Cela compensait la tare du mal et du péché des autres. Ils attachaient ainsi beaucoup d’importance à l’intercession pour le pardon des péchés[20]. La figure du Serviteur Souffrant en Isaïe 53, 4-12 sera maintes fois reprise dans le Nouveau Testament comme type du Christ, le Rédempteur.

[6] Les récits de la geste de Dieu dans l’Exode[21] et l’amour rédempteur d’Esther et de Ruth[22] montrent comment la liberté vient d’un don de soi sans réserve pour une nation ou une famille. On trouve de pareils sentiments dans la vie de prière d’Israël qui célèbre l’amour rédempteur de Dieu durant l’Exode[23], sa sollicitude et sa bonté qui apportent liberté et plénitude de vie au peuple[24].

[7] Ces anciens thèmes de la libération et de la rédemption deviennent encore plus prégnants en Jésus-Christ. Issu de ce monde et donné par Dieu à ce monde, Jésus de Nazareth indique le chemin d’une liberté authentique et durable. En sa personne, par ses paroles et ses actes, il a montré que le règne de Dieu était tout proche et il a appelé chacun à la conversion en vue de faire partie du Royaume[25]. Jésus de Nazareth a raconté des paraboles du Royaume qui ébranlaient les structures profondes de nos idées reçues[26]. Elles suppriment nos défenses et nous rendent vulnérables à Dieu. Ici, Dieu nous touche et le Royaume de Dieu arrive.

[8] Jésus racontant les paraboles du Royaume de Dieu était la vivante Parabole de Dieu. Son indéfectible ouverture à Dieu apparaît dans sa relation au Dieu de la tradition d’Israël, Dieu en tant que Abba[27]. Elle se montre dans sa prompte disposition à subir, comme Fils de l’Homme, toutes les insultes, la souffrance et la mort, dans la certitude qu’à la fin Dieu aura le dernier mot[28]. Il a rassemblé des disciples[29] et partagé sa table avec les pécheurs, renversant les valeurs admises en leur offrant le salut[30]. Il a persévéré dans son attitude et dans son enseignement, malgré la tension que cela créa autour de lui[31] et qui culmina dans sa « destruction » symbolique du Temple[32], son dernier repas qui promettait d’être le premier de beaucoup d’autres[33], et sa mort sur la croix[34]. Jésus de Nazareth fut l’être humain le plus libre qui ait jamais vécu. Il ne désirait nullement maîtriser son avenir car la confiance radicale qu’il mettait en son Père, Abba, le libérait de telles préoccupations.

[9] Le récit johannique de la Croix dit la révélation d’un Dieu qui a tant aimé le monde qu’il a donné son propre Fils[35]. C’est sur la Croix que Jésus a été « élevé[36] » pour glorifier Dieu et parvenir ainsi à sa propre gloire[37]. « Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis[38]. » Puisque la Croix fait connaître Dieu, tous les croyants à venir devront « regarder celui qu’ils ont transpercé[39] ».

[10] Une grande part de la quête de libération, de liberté ou de ce qui, quels que soient les termes employés aujourd’hui, pourrait être appelé « rédemption » face aux ambiguïtés de la situation humaine, tend à éviter et à ignorer la souffrance et la mort. Le chemin de Jésus de Nazareth montre que le libre don de soi aux voies de Dieu, quel qu’en soit le prix, nous glorifie en même temps qu’il glorifie Dieu. La mort de Jésus n’est pas le fait d’un Dieu cruel exigeant le sacrifice suprême ; ce n’est pas le « remboursement » payé à quelque puissance aliénante qui asservit. C’est le temps et le lieu dans lesquels un Dieu qui est amour et qui nous aime est rendu visible. Jésus crucifié dit combien Dieu nous aime et proclame qu’en ce geste d’amour un homme a consenti inconditionnellement aux voies de Dieu.

[11] L’Évangile de Jésus crucifié a montré la solidarité de l’amour de Dieu avec la souffrance. Dans la personne de Jésus de Nazareth, cet amour sauveur de Dieu et sa solidarité avec nous reçoivent leur forme historique et corporelle. L’ignoble type de mort qu’est la crucifixion est devenu « Évangile ». Tandis qu’une bonne part de l’Ancien Testament considère la mort comme définitive et tragique[40], ce point de vue est progressivement dépassé avec l’apparition de l’idée d’une vie après la mort[41] et avec l’enseignement de Jésus selon lequel Dieu est le Dieu des vivants et non pas des morts[42]. Mais l’événement sanglant du Calvaire a réclamé de l’Église primitive qu’elle explique, à la fois pour elle-même et pour sa mission, l’efficacité expiatoire de la mort sacrificielle de Jésus sur la Croix[43].

[12] Le Nouveau Testament use d’images sacrificielles pour expliquer la mort du Christ. Le salut ne saurait être obtenu par la seule perfection morale et le sacrifice ne saurait être considéré comme le vestige d’une religion désuète. Le judaïsme fournit déjà le type de la mort expiatoire du parfait martyr[44], mais le Nouveau Testament va plus loin en raison de la signification décisive reconnue au « sang du Christ ». La Croix de Jésus, qui occupait une place centrale dans la prédication primitive, incluait le sang versé. La portée salvifique de la mort de Jésus fut expliquée en des termes tirés de la liturgie sacrificielle de l’Ancien Testament où le sang jouait un rôle important. En prolongeant la conception vétérotestamentaire du sang comme marque essentielle de la vie, mais en transformant cette conception, le langage et la théologie du sacrifice apparurent dans l’Église primitive avec les aspects suivants.

(a) Suivant un argument typologique, le sang du Christ fut jugé efficace pour établir une alliance nouvelle et parfaite entre Dieu et le Nouvel Israël[45]. Mais à la différence des actes réitérés des prêtres de la première alliance, le sang de Jésus, seul moyen d’obtenir la rémission et la sanctification[46], ne coule qu’une seule fois, en un sacrifice qui est offert une fois pour toutes[47].

(b) Le terme « mort » ne saurait désigner par lui-même une œuvre de salut. Le « sang » implique davantage que la mort. Il connote activement la vie[48]. L’aspersion du sang sur l’autel était considérée comme le geste d’offrande essentiel et décisif (Lévitique) ; mais pour Paul, l’efficacité attribuée au sang du Christ (justification, rédemption, réconciliation et expiation) déborde très largement le champ revendiqué pour le sang dans le Lévitique, dont l’effet, négatif seulement, consiste à couvrir ou à supprimer ce qui interdit de rendre à Dieu un culte sûr ou acceptable[49]. Le Christ est tenu pour le kaporeth : à la fois offrande et propitiation.

(c) être en situation d’alliance signifie obéir[50]. L’idée d’obéissance et de fidélité à la Torah jusqu’à la mort était bien connue du judaïsme du ier siècle. Paul n’hésite pas à expliquer la mort de Jésus en termes d’obéissance aux exigences de Dieu[51]. Cette obéissance ne consiste pas à apaiser un Dieu de colère mais à s’offrir soi-même librement, de manière à rendre possible une Nouvelle Alliance ; le chrétien entre dans cette Nouvelle Alliance en imitant la patience et l’obéissance de Jésus[52].

(d) Comme l’ensemble de la vie terrestre de Jésus[53], sa mort sur la croix eut lieu en présence du Saint-Esprit et avec son assistance[54]. Ici, toute analogie avec l’Ancien Testament se montre insuffisante. C’est Jésus « qui par un Esprit éternel s’est offert lui-même[55] ». Tout ce qui advient sur la croix rend témoignage au Père et, d’après Paul, personne ne peut appeler Dieu Père si ce n’est dans l’Esprit, et l’Esprit de Dieu témoigne de lui dans les croyants[56]. Dans le quatrième Évangile, l’Esprit est remis à l’Église quand Jésus s’écrie « tout est achevé » et qu’il remet l’Esprit (« paredoken to pneuma[57] »).

(e) La mort de Jésus fut louange et exaltation de Dieu. Il resta fidèle jusqu’à la mort ; il manifesta le règne de Dieu : ainsi, dans la mort de Jésus, Dieu était présent. C’est pourquoi la première Église attribua à la mort de Jésus une puissance rédemptrice : « Tout Fils qu’il était, il apprit de ce qu’il souffrit, l’obéissance ; après avoir été rendu parfait, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel, puisqu’il est salué par Dieu du titre de grand prêtre selon l’ordre de Melchisédech[58]. » Le sacrifice de Jésus sur la croix fut non seulement passio mais aussi actio. Ce dernier aspect, l’offrande volontaire de soi-même au Père, avec sa dimension pneumatique, est l’aspect le plus important de sa mort. Le drame n’est pas un conflit entre le destin et l’individu. Au contraire, la croix est une liturgie d’obéissance manifestant l’unité du Père et du Fils dans l’éternel Esprit.

[13] Jésus ressuscité proclame la gracieuse réponse de Dieu à un tel amour qui se donne lui-même. Au terme, le christianisme ne regarde qu’une croix vide. L’acceptation inconditionnelle par Jésus de Nazareth de tout ce que lui demandait le Père a conduit au « oui » inconditionnel du Père concernant tout ce que Jésus a dit et fait. C’est la résurrection qui proclame que la voie de Jésus est celle qui, triomphant du péché et de la mort, mène à une vie sans limites.

[14] Au christianisme incombe la tâche d’annoncer en paroles et en actes l’avènement d’une libération de tous les esclavages qui déshumanisent la création de Dieu. La révélation de Dieu dans et par Jésus de Nazareth, crucifié mais ressuscité, nous appelle à être tout ce en vue de quoi nous avons été créés. La personne qui participe à l’amour de Dieu révélé dans et par Jésus-Christ devient ce pour quoi elle a été créée : l’image de Dieu[59], comme Jésus est l’Icône de Dieu[60]. L’histoire de Jésus montre que cela ne coûtera rien de moins que tout. Et la réponse de Dieu à l’histoire de Jésus est tout autant extraordinaire : la mort et le péché ont été vaincus une fois pour toutes[61].

[15] Le pouvoir de détruire demeure entre nos mains ; l’histoire d’Adam est encore la nôtre[62]. Mais le don d’une obéissance semblable à celle du Christ offre au monde l’espérance d’une transformation, il le libère de la Loi en vue d’une féconde union avec le Christ[63]. Vivre sous la Loi rend une véritable liberté impossible[64], tandis que la vie dans l’Esprit permet une liberté qui provient du don gracieux de Dieu[65]. Mais pareille liberté n’est possible qu’en mourant au péché de telle sorte que nous soyons « vivants pour Dieu en Jésus-Christ[66] ».

[16] La vie rachetée des chrétiens possède un aspect historique manifeste et une immanquable dimension sociale. Les rapports entre maîtres et esclaves ne pourront plus jamais être les mêmes[67] ; il n’y a plus désormais d’esclave ni d’homme libre, de Grec ni de Juif, d’homme ni de femme[68]. Les chrétiens sont appelés à être authentiquement humains dans un monde divisé, l’expression propre de l’amour, de la joie, de la paix, de la patience, de la douceur, de la bonté, de la fidélité, de la bienveillance, de la maîtrise de soi, vivant par l’Esprit et se laissant conduire par l’Esprit[69].

[17] Dans la sotériologie de la Lettre aux Éphésiens et de la Lettre aux Colossiens se détachent les thèmes de la paix et de la réconciliation : « Il [le Christ] est notre paix[70]. » La paix (shalom) et la réconciliation deviennent ici le cœur et la meilleure expression de la rédemption. Mais cet aspect de la rédemption n’est pas nouveau. Le mot « paix » doit être compris à la lumière de son abondant usage dans la tradition biblique. Il revêt une triple dimension.

(a) Il désigne la paix avec Dieu : « Ayant donc reçu notre justification de la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ[71]. »

(b) Il désigne la paix parmi les hommes. Il implique un a priori mutuel favorable. La paix, qui est le Christ, détruit les murs de haine, de division et de conflit ; elle repose sur la confiance réciproque.

(c) Il désigne la paix intérieure, primordiale, que l’être humain peut trouver en lui-même. Cet aspect de la paix du Christ a des conséquences de grande portée. En Romains 7, 14-25, Paul parle de l’homme divisé contre lui-même, dont la volonté et les actes sont en mutuel conflit. Cette personne, sans la force libératrice qui vient du don de la grâce et de la paix de Jésus, ne peut que s’écrier : « Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps qui me voue à la mort[72] ? » Paul fournit immédiatement la réponse : « Grâces soient à Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur[73] ! »

[18] Dans l’hymne au Christ qui ouvre la Lettre aux Colossiens[74], la rédemption apportée par le Christ est acclamée comme une rédemption universelle et cosmique. La création entière doit être libérée de son asservissement à la corruption pour obtenir la glorieuse liberté des enfants de Dieu. Ce thème de toute la création intrinsèquement et essentiellement orientée vers Dieu, déjà formulé éloquemment par Paul dans sa Lettre aux Romains[75], nous rend conscients de nos responsabilités présentes envers la création.

[19] Dans la Lettre aux Hébreux, nous trouvons l’image du peuple de Dieu errant sur le chemin de la terre promise du repos de Dieu[76]. Le modèle en est la génération du temps de Moïse, voyageant à travers le désert durant quarante ans à la recherche de la terre promise de Canaan. En Jésus-Christ, nous avons cependant l’« initiateur du salut[77] » qui, en raison de sa qualité de Fils, est de beaucoup supérieur à Moïse[78]. Il est le grand prêtre selon l’ordre de Melchisédech. Sa prêtrise est non seulement supérieure à la prêtrise de l’Ancienne Alliance mais elle l’a abolie[79]. Jésus-Christ nous a libérés de nos péchés par son sacrifice. Il nous a sanctifiés et a fait de nous des frères. Il a sauvé ceux qui, par crainte de la mort, étaient tenus en esclavage leur vie durant[80]. Il se montre maintenant comme notre avocat devant la face de Dieu[81].

[20] Ainsi, le pèlerinage chrétien à travers l’histoire porte-t-il la marque d’une confiance inébranlable. Il est vrai que « voir ce qu’on espère, ce n’est plus l’espérer. Ce qu’on voit, comment pourrait-on l’espérer encore ? Mais espérer ce que nous ne voyons pas, c’est l’attendre avec constance[82] ». Peut-être ne voyons-nous pas, mais nous avons reçu la promesse de la Jérusalem Nouvelle, la demeure où « il habitera avec eux, et ils seront son peuple et Dieu lui-même sera avec eux. Il essuiera toutes larmes de leurs yeux ; de mort, il n’y en aura jamais plus, car l’ancien monde s’en est allé. […] Vois, je fais toutes choses nouvelles[83] ». Possédant déjà la liberté et les arrhes de l’Esprit[84] qui proviennent de la mort et de la résurrection de Jésus, nous avançons avec confiance vers la fin des temps en nous écriant : « Viens, Seigneur Jésus[85] ! »

3. Perspectives historiques

a) Interprétations patristiques de la rédemption.

Introduction.

[1] Les Pères ont prolongé l’enseignement du Nouveau Testament sur la rédemption, développant et élaborant certains thèmes en fonction de leur propre situation religieuse et culturelle. Soulignant la libération du paganisme, de l’idolâtrie et des puissances diaboliques, et en accord avec la mentalité de leur temps, ils interprétèrent la rédemption principalement comme une libération de l’esprit et de l’âme. Cependant, ils ne pouvaient ignorer l’importance du corps montrant des signes évidents de dégradation et de mort à la suite du péché[86]. Se réclamant de l’axiome « caro cardo salutis[87] », ils répudièrent la conception gnostique du salut de l’âme seule.

[2] Les Pères ont une claire vision de l’œuvre « objective » de la rédemption et de la réconciliation qui apporte le salut au monde entier, ainsi que de l’œuvre « subjective » qui concerne chaque être humain individuel. L’œuvre « objective » est intimement liée à l’incarnation et à la christologie, tandis que l’œuvre « subjective » est spécialement liée aux sacrements et à la doctrine de la grâce qui accompagnent et dirigent l’histoire humaine vers l’eschaton.

Les Pères apostoliques et les Apologistes.

[3] Ignace d’Antioche emploie le titre sotériologique de Christos iatros (Christus medicus). « Il n’y a qu’un seul médecin, charnel et spirituel, engendré et inengendré, venu en chair, Dieu, en la mort vie véritable, né de Marie et né de Dieu, d’abord passible et maintenant impassible, Jésus-Christ notre Seigneur[88]. » Le Christ ne se contente pas de guérir la maladie mais il embrasse la mort dans la mesure où elle est vie ; en effet, on trouve la vraie vie dans la mort. La guérison, qui fait partie de son œuvre de rédemption dans les Évangiles, exprime avant tout sa divine bonté : il voulait que ses guérisons et exorcismes soient des actions bonnes pour lesquelles les gens loueraient le Père. Ses guérisons reposaient sur son pouvoir divin de pardonner les péchés, la foi étant ici la seule condition requise. On trouve ce courant de pensée dans la Première Lettre de Clément[89], l’Épître à Diognète[90] et chez Origène[91].

[4] La pensée de Justin est intimement liée au Credo. Sa compréhension du Christos didaskalos et du Logos didaskalos[92] rappelle l’enseignement de Jésus sous Ponce Pilate. Les Apologistes mettent en valeur la figure du Christus magister (Christos didaskalos) et leur intérêt se concentre encore sur son enseignement et ses exorcismes, mais Justin dépend surtout de la pratique traditionnelle de l’Église et des formules du Credo pour expliquer la présence guérissante du Christ. Les paroles du Logos adviennent avec une force divine ; elles ont une puissance libératrice. Genèse 6, 1-4 a montré le commencement de l’action de forces maléfiques : l’histoire du salut est ponctuée de rencontres du Christ avec les démons dans une lutte contre une perversité toujours croissante, comme l’enseignent Justin dans son Apologie[93] et Athénagore[94]. L’article « descendit ad inferos » du Symbole des Apôtres décrit le point culminant de cette lutte à travers le baptême, les tentations, les exorcismes et la résurrection de Jésus. De la même façon, chez Justin, l’usage du nom soter pour parler de la continuation de l’œuvre de rédemption du Christ provient de formules de la liturgie et du Credo. Il en est de même pour sa conception de Jésus comme Rédempteur secourable, Fils de Dieu, Premier-né de toute la création, né d’une vierge, qui a souffert sous Ponce Pilate, est mort et ressuscité des morts, et qui est monté aux cieux, chassant, vainquant et soumettant tous les démons[95]. Tout en continuant la pensée des Pères apostoliques, Justin dépend aussi des Credos baptismaux, du Nouveau Testament et de la soteria déployée dans les sacrements de l’Église.

Irénée.

[5] Au début du cinquième livre de son Adversus Haereses, Irénée explique : Christ le Didascale (Christus Magister) est le Verbe fait chair qui a fait alliance avec nous, de sorte que nous puissions le voir, saisir sa parole, imiter ses actes, accomplir ses commandements et revêtir son incorruptibilité. En cela, nous sommes recréés à la ressemblance du Christ. Le Christ est le Verbe puissant et l’homme véritable (Verbum potens et homo verus) qui nous a rachetés intelligiblement (rationabiliter) par son sang, s’offrant en rançon (redemptionem)pour nous. Pour Irénée, la rédemption a été accomplie d’une manière que l’homme pouvait comprendre (rationabiliter) : le Verbe, dont la puissance est absolue, est aussi d’une parfaite justice. Le Verbe peut donc tenir tête à l’ennemi, non par la force mais par la persuasion et la bonté, assumant tout ce qui lui appartient légitimement (sua proprie et benigne assumens). Irénée n’admet pas que Satan ait le moindre droit à dominer l’humanité après la chute. Au contraire, Satan règne injustement (injuste) car nous appartenons à Dieu par nature (cum natura essemus Dei omnipotentis). En nous sauvant par son sang, le Christ a inauguré une nouvelle étape dans l’histoire du salut, envoyant l’Esprit du Père de sorte que Dieu et l’humanité soient unis et vivent en harmonie. Par son incarnation, de manière assurée, il a vraiment accordé l’incorruptibilité à l’humanité[96]. Le Rédempteur et la rédemption sont inséparables parce que la rédemption n’est rien d’autre que l’union des rachetés au Rédempteur[97]. La présence même du Logos divin dans l’humanité a un effet de guérison et d’élévation de la nature humaine en général.

[6] Chez Irénée, la notion de « récapitulation » (anakephalaiosis) implique la restauration de l’image de Dieu en l’homme. Bien que l’expression vienne de éphésiens 1, 10, la pensée d’Irénée possède une vaste assise biblique. Le terminus a quo de la rédemption est la délivrance de l’empire de Satan et la récapitulation de l’histoire antérieure de l’humanité. Le terminus ad quem en est l’aspect positif : le renouvellement de l’image et de la ressemblance de Dieu. Le premier Adam porte en lui-même le germe de tout le genre humain ; le second Adam, au moyen de l’incarnation, récapitule chaque homme qui vivait jusqu’alors et s’adresse à tous les peuples et à toutes les langues. Le salut ne regarde pas seulement vers le passé : il est une ouverture sur l’avenir. La récapitulation de l’image et de la ressemblance de Dieu ne peut se faire que par la présence du Verbe (Verbum) et de l’Esprit (Spiritus). Le premier Adam préfigure le Verbe incarné en vue duquel le Verbe et l’Esprit avaient formé le premier homme, mais celui-ci demeura immobilisé dans une condition d’« enfance » parce que l’Esprit qui donne la croissance le quitta. Le don de la ressemblance du Saint-Esprit inaugure la nouvelle et dernière étape de l’œconomia qui s’est accomplie à la résurrection quand tout le genre humain reçut la forme du nouvel Adam[98]. La dimension pneumatique de l’anakephalaiosis est importante parce que la possession durable de la vie n’est possible que par l’Esprit[99]. Bien que l’incarnation résume le passé, le concentrant dans la récapitulation, en un sens elle met fin au passé. L’effusion du Saint-Esprit, inaugurée à la résurrection, oriente l’histoire vers l’eschaton et rend l’anakephalaiosis vraiment universelle.

Les traditions grecques.

[7] Athanase ne négligea jamais la portée du péché mais il vit clairement que le Rédempteur devait guérir non seulement la réalité du péché lui-même mais aussi ses conséquences : la perte de la ressemblance avec Dieu, la corruption et la mort[100]. Athanase considérait que si Dieu n’avait dû tenir compte que du péché, il aurait pu réaliser la rédemption autrement que par l’incarnation et la crucifixion. Il ne niait pas que le Christ fût entré en contact direct avec le péché, mais il soutenait que, bien que le péché n’ait pas altéré la nature divine du Christ, celui-ci a éprouvé dans sa nature humaine les conséquences du péché. Il est entré dans le monde du péché et de la corruption parce que la corruption et la mort sont elles-mêmes péché[101].

[8] Grégoire de Nazianze enseigne que l’incarnation a eu lieu parce que l’humanité avait besoin d’un plus grand secours. Avant l’incarnation, la pédagogie de Dieu n’avait pas suffi[102]. Le Christ assuma la condition humaine intégrale pour nous libérer de l’emprise du péché[103], mais la source du salut, rendue possible par l’incarnation, est la crucifixion-résurrection du Christ[104]. Grégoire de Nazianze rejette totalement l’hypothèse selon laquelle Dieu aurait négocié avec Satan ainsi que la supposition selon laquelle une rançon aurait été payée au Père. Tout ce qui fut touché par la divinité fut sanctifié[105]. Cette idée est développée par Grégoire de Nysse qui fusionne des images johanniques pour affirmer que le Verbe s’est uni, comme Pasteur, à la centième brebis. établissant une analogie avec « le Verbe qui s’est fait chair », il affirme que « le pasteur est devenu la brebis[106] ». L’idée revient chez Augustin : ipse ut pro omnibus pateretur, ovis est factus[107].

Les traditions latines.

[9] Dans la tradition latine, Ambroise et Augustin puisèrent dans la richesse des « mystères » de l’église, de la vie liturgique, de la prière et surtout de la vie sacramentelle fleurissant dans l’église latine à partir du ive siècle. Ambroise, à qui sa connaissance du grec permit d’apporter en Occident une bonne part de la tradition orientale, fit reposer son enseignement sur les sacrements du baptême, de la pénitence et de l’Eucharistie. Cela nous fournit un inestimable témoignage non seulement de la vie sacramentelle de l’Église latine, mais aussi de la façon dont l’Ecclesia orans comprenait le mystère de l’action rédemptrice de Dieu dans l’événement du Christ, passé (rédemption objective), présent et futur (rédemption subjective)[108].

[10] Augustin n’innove pas en matière de réflexion chrétienne sur la rédemption. Pourtant, avec profondeur et finesse, il décrit et synthétise les traditions, les pratiques et les prières de l’Église dont il fut le dépositaire. Dieu seul peut aider l’humanité dans son impuissance[109]. Augustin met en évidence le profond abîme qui sépare notre situation concrète de notre vocation divine. Il ne saurait y avoir d’accord entre Dieu et Satan. La rédemption ne peut être qu’une oeuvre de grâce[110]. Dans le plan divin de salut, la mission du Christ est limitée à un certain temps mais elle constitue une réalité supraterrestre : l’amour du Dieu de colère pour l’humanité. Cet amour éternel, par la crucifixion et la mort de Jésus, procure la réconciliation et la filiation[111]. L’œuvre du salut doit être digne à la fois de Dieu et de l’homme, et ainsi Dieu ne pardonne et n’oublie le péché que si l’homme se repent et expie. Lorsque cela a lieu, Dieu supprime le péché et la mort. La réparation et la réconciliation reposent donc sur la justice car c’est seulement ainsi que l’humanité peut être impliquée de façon responsable dans l’histoire du salut. L’humanité est attirée vers la réconciliation dans la mesure où elle accueille activement le salut et la rédemption.

[11] La rédemption n’est pas un événement qui « arrive » tout simplement à l’homme. Nous y sommes activement impliqués à travers notre chef, Jésus-Christ. Le sacrifice rédempteur du Christ est le sommet de l’activité cultuelle et morale de l’humanité. C’est l’unique et singulier sacrifice méritoire (sacrificium singulare). La mort de Jésus-Christ est un sacrifice parfait et un acte d’adoration. La crucifixion est la consommation de tous les sacrifices offerts jusqu’alors à Dieu. Agréée par le Père, elle obtient le salut aux frères et sœurs du Christ. Reprenant une idée qui, comme chez Ambroise, était liée à sa compréhension de l’effet salutaire de la vie sacramentelle de l’Église, spécialement du baptême, Augustin enseigna que tous les sacrifices, y compris celui de l’Église, ne sont jamais qu’une « figure[112] » du sacrificium singulare, le sacrifice du Christ[113].

[12] Bien qu’elle soit pure grâce, la rédemption inclut la satis-factio accomplie par l’obéissance du Fils de Dieu dont le sang est la rançon par laquelle il mérita et obtint la justification et la libération[114]. Jésus-Christ mène son combat en tant qu’homme et sauve ainsi l’honneur de l’humanité par sa réponse parfaite à Dieu (la factio requise de la part de l’humanité) tout en révélant la majesté de Dieu (le satis de la part de Dieu qui réalise pleinement la satis-factio). Ainsi, le Christ non seulement guérit mais aussi sanctifie : il sauve en sanctifiant. Prolongeant une tradition des premiers Pères, Augustin souligne que le Christ est la Tête de l’humanité, mais parce qu’il était aussi Sauveur de l’humanité dès avant tous les temps et avant l’incarnation, le Christ exerce son influence sur tous les individus comme sur l’humanité en général.

Conclusion.

[13] Les thèmes qui nous parviennent de la tradition biblique constituent le fondement de la réflexion patristique sur la rédemption. L’abîme entre la condition humaine et l’espérance de la liberté d’être fils et filles du seul vrai Dieu est clairement saisi et exposé. L’initiative de Dieu comble cet abîme par le sacrifice de Jésus-Christ et sa résurrection. Au sein des différentes écoles de pensée, ces éléments forment la base de la réflexion patristique. Aux yeux des Pères, la relation de l’histoire humaine et des individus humains avec la mort et la résurrection de Jésus-Christ est également importante. Une vie d’amour et d’obéissance reflète la signification éternelle de la vie et de la mort de Jésus-Christ, et, d’une certaine manière, nous implique en elle. Bien que s’exprimant selon des manières variées qui reflétaient leur conception personnelle du monde et leur problématique propre, les Pères de l’Église ont élaboré, sur la base du Nouveau Testament et du développement des « mystères » de la vie de l’église, de la prière et de la pratique de l’église, un solide corpus de traditions sur lequel la réflexion théologique ultérieure pourra bâtir.

b) Théories plus récentes de la rédemption.

[14] L’Écriture sainte et les Pères de l’Église offrent un fondement solide à la réflexion sur la rédemption du genre humain par la vie, l’enseignement, la mort et la résurrection du Christ, le Fils incarné de Dieu. Ils offrent également une profusion de métaphores et d’analogies permettant d’illustrer et de contempler l’œuvre rédemptrice du Christ. Parlant du Christ en termes de vainqueur, d’enseignant et de médecin, les Pères tendaient à souligner l’action « descendante » de Dieu mais ils ne négligèrent pas pour autant l’œuvre du Christ en tant qu’il a offert la satisfaction, « payant la dette » qui était due et offrant le seul sacrifice qui pût être agréé.

[15] Retracer l’histoire de la théologie de la rédemption à travers les siècles dépasserait les limites du présent document. Il suffira à notre propos de relever quelques traits saillants de cette histoire afin de pouvoir dégager les enjeux majeurs qu’une approche contemporaine se doit d’aborder.

Le Moyen Âge.

[16] La contribution médiévale à la théologie de la rédemption peut être étudiée chez Anselme, Abélard et Thomas d’Aquin. Dans son ouvrage classique Cur Deus homo, Anselme, sans oublier l’initiative « descendante » de Dieu dans l’incarnation, met l’accent sur l’œuvre « ascendante » de restitution légale. Il commence par la conception de Dieu comme Seigneur souverain dont l’honneur a été offensé par le péché. L’ordre de la justice commutative exige une réparation adéquate qui ne peut être donnée que par l’homme-Dieu. « Si grand était ce dû, que nul ne devait acquitter sinon l’homme et que nul ne pouvait sinon Dieu, que l’homme [devait] être le même que Dieu[115]. » En offrant une satisfaction adéquate, le Christ délivre l’humanité de la peine due au péché. Si Anselme souligne l’aspect satisfactoire de la mort du Christ, il garde le silence sur l’efficacité salvifique de la résurrection du Christ. Préoccupé par l’état coupable dont l’humanité devait être affranchie, il prête peu d’attention à l’aspect de la divinisation. Anselme concentre son attention sur la rédemption objective : il ne s’étend pas sur l’appropriation subjective des effets de la rédemption par les rachetés. Il reconnaît pourtant bien que le Christ a laissé un exemple de sainteté à suivre par tous[116].

[17] Sans nier la valeur satisfactoire de la mort du Christ, Pierre Abélard préfère parler du Christ enseignant par l’exemple. À son avis, Dieu aurait pu satisfaire à son honneur sans la croix du Christ, mais Dieu a voulu que les pécheurs se reconnaissent objets de l’amour crucifié de Jésus et qu’ainsi ils se convertissent. Abélard voit dans la passion du Christ une révélation de l’amour de Dieu, un exemple qui nous pousse à l’imiter. En fait de locus classicus, il se réfère à Jean 15, 13 : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis[117]. »

[18] Thomas d’Aquin emprunte à Anselme le concept de satisfaction mais il l’interprète en des termes qui rappellent Abélard. Pour l’Aquinate, la satisfaction est l’expression concrète du regret du péché. Il soutient que la passion du Christ a compensé le péché en étant principalement un acte d’amour, sans lequel il ne pourrait pas y avoir de satisfaction[118]. Par son sacrifice, le Christ a offert à Dieu davantage que ce qui était requis. Citant 1 Jean 2, 2, l’Aquinate déclare que la passion du Christ a surabondamment satisfait pour les péchés du monde entier[119]. La mort du Christ ne fut nécessaire qu’en raison du libre choix divin de racheter l’humanité de façon convenable, manifestant à la fois la justice et la miséricorde de Dieu[120]. Pour saint Thomas, le Christ rédempteur guérit et divinise les hommes pécheurs non seulement par sa croix mais aussi par son incarnation et par tous ses « acta et passa in carne[121] », y compris sa glorieuse résurrection. Par ses souffrances et par sa mort, le Christ ne se substitue pas purement aux pécheurs qui sont tombés : il est plutôt la tête qui représente l’humanité régénérée. Thomas d’Aquin « insiste sur le fait que le Christ est tête de l’Église, et que la grâce qu’il possède comme tête est transmise à tous les membres de l’Église en raison de la conjonction organique du corps mystique[122] ».

La Réforme et la Contre-Réforme.

[19] Les Réformateurs protestants reprirent la théorie anselmienne de la satisfaction mais, contrairement à Anselme, ils ne distinguèrent pas l’alternative de la satisfaction et du châtiment. Pour Luther, la satisfaction se produit précisément par le châtiment. Le Christ se trouve sous la colère de Dieu car, comme l’enseigne Paul en Galates 3, 13, il a pris sur lui non seulement les conséquences du péché mais le péché lui-même[123]. Selon Luther, le Christ est le plus grand voleur, meurtrier, adultère et blasphémateur qui ait jamais vécu[124]. Il arrive à Luther de parler du Christ, de façon paradoxale, comme étant totalement innocent et cependant le plus grand pécheur[125]. Puisque le Christ a pleinement payé la dette due à Dieu, nous sommes dispensés de toute œuvre à accomplir. Les pécheurs peuvent parachever l’« heureux échange » s’ils cessent de s’appuyer sur leurs propres mérites pour se revêtir par la foi des mérites du Christ, exactement comme celui-ci s’est revêtu des péchés de l’humanité[126]. La justification a lieu par la foi seule.

[20] Suivant la conception de Calvin, le Christ est impliqué dans le péché dans la mesure où ce péché lui est imputé. Le Christ, dit Calvin, s’est vêtu de l’ignominie du péché par « imputation transférée[127] ». « Tout ce qui pouvait nous être imputé pour nous faire notre procès criminel devant Dieu a été transporté sur Jésus-Christ, tellement qu’il a réparé toutes nos fautes. Et cette récompense nous doit bien venir en mémoire[128] » afin d’être libérés de l’angoisse. Jésus est non seulement mort comme un malfaiteur : il est allé aussi en enfer et il a éprouvé les tourments des damnés[129].

[21] Au xviie siècle, Hugo Grotius conféra une forme plus juridique à la sotériologie de Calvin, expliquant assez longuement comment le sang versé du Christ manifeste la haine de Dieu pour le péché[130].

[22] Le concile de Trente traite brièvement de la rédemption dans son Décret sur la justification. Se fondant sur Augustin et Thomas d’Aquin, le concile affirme que le Christ, par son grand amour, a mérité notre justification et satisfait pour nous sur l’arbre de la croix[131]. La doctrine de la satisfaction est intégrée par le concile de Trente dans un cadre plus large qui inclut la divinisation conférée aux pécheurs justifiés par le Saint-Esprit, qui fait d’eux les membres vivants du Corps de Christ[132].

Le protestantisme libéral.

[23] Dans les envolées oratoires de certains types de sermons protestants et même catholiques, la théorie de la substitution pénale a presque dépeint Dieu sous les traits d’un souverain vengeur exigeant réparation pour offense à son honneur. L’idée que Dieu punisse l’innocent à la place du coupable semblait incompatible avec la conviction chrétienne que Dieu est éminemment juste et aimant. Il est donc compréhensible que les chrétiens libéraux aient adopté une approche très différente dans laquelle la justice vindicative de Dieu n’avait aucune place. Revenant sous certains aspects à Abélard, des théologiens du xixe siècle mirent l’accent sur l’amour exemplaire de Jésus qui suscite une réponse de gratitude, permettant à d’autres d’imiter ses gestes d’amour et de parvenir ainsi à la justification. Sous l’influence de Kant, la doctrine de la rédemption fut purifiée de ses prétendues « corruptions sacerdotales » incluant les concepts de sacrifice et de satisfaction pénale. Se référant à Kant, Albrecht Ritschl redéfinit la rédemption en termes de liberté de collaborer, en vue du « Royaume de Dieu », dans une communauté de vertu[133].

[24] On peut trouver une variante de la théorie libérale chez Schleiermacher qui affirmait que Jésus nous amène à la perfection non pas tant par ce qu’il fait que par ce qu’il est : l’exemple parfait de la conscience humaine transformée par l’union au divin. Au lieu de ne parler que d’influence morale, Schleiermacher a employé des catégories de causalité, organiques ou même physiques. En conférant aux fidèles un nouveau principe vital, « le rédempteur accueille les croyants dans la communion de son bonheur sans trouble, et telle est son œuvre de réconciliation[134] ».

Courants du XXe siècle.

[25] Plusieurs nouvelles théories de la rédemption ont vu le jour au xxe siècle. Dans la théologie kérygmatique de Rudolf Bultmann, Dieu rachète l’humanité grâce à la proclamation de la croix et de la résurrection. La signification rédemptrice de la croix, chez Bultmann, ne réside pas en quelque théorie « ascendante » du sacrifice ou de la satisfaction vicaire (l’une comme l’autre sentant par trop la mythologie) mais dans le jugement « descendant » du monde et sa délivrance du pouvoir du mal. Le message paradoxal du salut par la croix suscite en ses auditeurs une réponse de soumission dans l’amour qui fait passer leur existence de l’inauthenticité à l’authenticité. « Croire à la croix du Christ, ce n’est pas considérer un événement mythique, qui se serait accompli à l’extérieur de notre monde et de nous-mêmes ; ce n’est pas un événement visible et objectif que Dieu mettrait à notre actif. Croire à la croix signifie recevoir la croix du Christ comme sa croix propre, se laisser crucifier avec le Christ[135]. »

 

[26] Paul Tillich développe une théorie existentielle similaire, sauf que chez lui le pouvoir de surmonter l’aliénation humaine se réfère à l’image biblique de Jésus comme Christ et spécialement au symbole de la croix. « La croix n’est pas la cause mais la manifestation efficace du fait que Dieu prend sur lui-même les conséquences de la faute de l’homme[136]. » Tout comme Dieu participe à la souffrance humaine, nous sommes rachetés en prenant librement part à la participation divine et en lui permettant de nous transformer[137].

 

[27] Dans ces deux formes, la théorie existentielle attribue la rédemption à la puissance de Dieu œuvrant dans les paroles et les symboles qui transforment la compréhension que l’homme a de lui-même. Seule une attention secondaire est prêtée à Jésus lui-même que l’on considère comme une figure obscure de l’histoire, grevée de mythologie.

 

[28] Réagissant contre ce manque d’intérêt pour le Jésus de l’histoire dans la théologie kérygmatique, et contre la piété ecclésiocentrique des siècles derniers, certains théologiens récents se sont efforcés de reconstruire la véritable histoire de Jésus et ont souligné comment sa mort a été la conséquence de sa lutte contre des structures oppressives et injustes, à la fois politiques et religieuses. Jésus, affirme-t-on, défendait les droits des pauvres, des marginaux, des persécutés. Ses disciples doivent se rendre solidaires des opprimés. La vie et la mort de Jésus sont tenues pour rédemptrices dans la mesure où elles incitent d’autres à poursuivre la lutte pour une société juste. Ce type de sotériologie est caractéristique de la théologie de la libération et de certains types de théologie politique[138].

 

[29] La théologie de la libération peut paraître unilatérale par l’accent qu’elle place sur la réforme sociale. Comme le reconnaissent certains de ses partisans, on ne saurait atteindre la sainteté ni surmonter le péché par un simple changement des structures économiques et sociales. Puisque, pour une large part, le mal a sa source dans le cœur humain, il faut transformer les cœurs et les esprits et les investir de la vie d’en haut. Les théologiens de la libération divergent entre eux quant à l’importance qu’ils donnent à l’espérance eschatologique. Certains affirment explicitement que le Royaume de Dieu ne peut pas être pleinement instauré par l’action humaine à l’intérieur de l’histoire mais seulement par l’action de Dieu à la Parousie.

 

[30] Parmi les théologiens modernes qui souhaitent restaurer le sens de l’action « descendante » de Dieu en faveur de ses créatures indigentes, Karl Rahner mérite une mention spéciale. Il dépeint Jésus comme le symbole indépassable qui manifeste la volonté salvifique irrévocable et universelle de Dieu. En tant que réalité symbolique, le Christ représente effectivement l’auto-communication irrévocable de Dieu dans la grâce et, en même temps, l’accueil de cette auto-communication par l’humanité[139]. Rahner se montre très réservé envers l’idée d’un sacrifice expiatoire qu’il regarde comme une ancienne notion dont la validité était présupposée à l’époque du Nouveau Testament mais qui « ne nous offre aujourd’hui qu’une aide restreinte pour l’intelligence recherchée », à savoir le sens causal de la mort de Jésus[140]. D’après la théorie rahnérienne de la « causalité de type quasi sacramentel », la volonté salvifique de Dieu pose le signe, en l’occurrence la mort de Jésus avec sa résurrection, et dans et par ce signe, elle cause ce qui est signifié[141].

 

[31] Il semblerait que, pour Rahner, on puisse obtenir les bienfaits essentiels de la rédemption en accueillant l’auto-communication intérieure que Dieu fait de lui-même à tous, comme un « existential surnaturel », avant même que la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ soit entendue. Le message de l’Évangile, une fois connu, permet de mieux comprendre ce qui est déjà contenu dans la parole intérieure de grâce de Dieu. Tous ceux qui entendent et qui croient au message chrétien obtiennent l’assurance que le dernier mot de Dieu aux hommes n’est pas une parole de sévérité et de jugement, mais d’amour et de miséricorde.

 

[32] La théorie de Rahner possède l’incontestable mérite de mettre l’accent sur l’initiative aimante de Dieu et sur la réponse de confiance et de reconnaissance qui lui correspond. Elle s’écarte des limites légalistes et moralisantes de certaines théories d’autrefois. Certains se sont cependant demandé si cette théorie rend suffisamment compte de l’efficacité causale de l’événement « Christ » et spécialement de la nature rédemptrice de la mort de Jésus sur la Croix. Le symbole qu’est le Christ se limite-t-il à exprimer et à communiquer ce qui était déjà donné de manière antécédente dans la volonté salvifique universelle de Dieu ? La parole intérieure de Dieu (comme « révélation transcendantale ») est-elle soulignée aux dépens de la parole extérieure donnée dans la proclamation de l’Évangile comme Bonne Nouvelle ?

 

[33] Allant au-delà de Rahner, plusieurs théologiens contemporains ont introduit une distinction plus radicale entre les aspects transcendantaux et prédicamentaux de la religion. Pour eux, la révélation comme orientation transcendantale est toujours et partout donnée à l’esprit humain. Dans les diverses religions, y compris dans le judaïsme et le christianisme, ils discernent, liées au contexte historique et culturel, des symbolisations d’une expérience spirituelle commune à toutes les religions. Toutes les religions sont considérées comme rédemptrices dans la mesure où leurs « mythes » suscitent la prise de conscience de l’œuvre intérieure de la grâce et incitent leurs adeptes à un agir libérateur. On soutient alors que les diverses religions, malgré leurs divergences doctrinales, sont unies dans leur orientation au salut. « La dynamique générale demeure cependant sotériologique, la plupart des religions ayant pour souci la libération (vimukti, moksa, nirvana)[142]. » Sur la base de semblables raisonnements, un théologien contemporain a demandé que l’on passe du théocentrisme ou du christocentrisme à ce qu’il appelle le « sotériocentrisme[143] ».

 

[34] Ces approches interreligieuses sont de louables tentatives pour harmoniser différentes conceptions religieuses et pour remettre en valeur la place centrale de la sotériologie. Mais cela met en péril les identités distinctes des religions. Le christianisme, en particulier, est dénaturé si on le prive de sa doctrine tenant que la rédemption n’advient pas simplement par un travail intérieur de la grâce divine ou par l’engagement humain dans un agir libérateur, mais à travers l’œuvre salvifique du Verbe incarné dont la vie et la mort sont de véritables événements historiques.

 

[35] De la théologie transcendantale des religions aux théories du New Age, auxquelles il a été fait allusion dans la première partie, il n’y a qu’un pas. Partant du présupposé que le divin est partie intégrante de la nature humaine, certains théologiens préconisent une religion festive centrée sur la création au lieu de la traditionnelle insistance chrétienne sur la chute et la rédemption. On prétend que la rédemption consiste à découvrir et à actualiser la présence divine immanente, par une spiritualité cosmique, une liturgie joyeuse et des techniques psychologiques d’éveil de la conscience et de maîtrise de soi[144].

 

[36] On ne doit pas ignorer les méthodes d’éveil et d’ascèse spirituels qui ont été développées dans les grandes traditions religieuses et par certains mouvements contemporains du « potentiel humain », mais il ne faut pas les assimiler à la rédemption au sens chrétien du terme. Il n’y a pas de fondements valables pour minimiser l’universalité des effets du péché et l’incapacité de l’humanité à se racheter elle-même. L’humanité n’est rachetée et Dieu n’est convenablement glorifié que par l’agir miséricordieux de Dieu en Jésus-Christ.

 

Réappropriation de la tradition antérieure.

[37] Un certain nombre de théologiens catholiques contemporains cherchent à maintenir la tension entre les axes « descendant » et « ascendant » de la sotériologie classique. Penchant souvent vers une théologie narrative ou dramatique de la rédemption, ces auteurs ont repris d’importants thèmes des récits bibliques, d’Irénée, d’Augustin et de Thomas d’Aquin. L’esquisse composite qui suit repose sur des éléments empruntés à divers auteurs récents.

 

[38] Ces théories se différencient des théories légalistes de la restitution ou de la substitution pénale : elles mettent l’accent sur ce qu’on peut appeler le Chef en son rôle représentatif (representative headship). Sans ignorer la distinction entre le Rédempteur et les rachetés, ces théories soulignent la manière suivant laquelle le Christ s’identifie lui-même à l’humanité déchue. Il est le nouvel Adam, l’auteur d’une humanité rachetée, la Tête ou la Vigne à laquelle les hommes doivent être incorporés comme membres ou sarments. C’est normalement la participation sacramentelle qui fait des hommes les membres du Corps du Christ et qui les fait grandir en union avec lui.

 

[39] La théorie de la représentativité du Chef conçoit la rédemption en termes d’intervention gracieuse de Dieu dans la situation humaine de péché et de souffrance. Le Verbe incarné devient le point de ralliement pour la constitution d’une humanité réconciliée et restaurée. Tout le parcours de Jésus, incluant les mystères de sa vie cachée et publique, est rédempteur ; mais il atteint son sommet dans le mystère pascal où Jésus, en se soumettant par amour à la volonté du Père, scelle une nouvelle relation d’alliance entre Dieu et l’humanité. La mort de Jésus, résultant inévitablement de sa courageuse opposition au péché de l’homme, constitue son acte suprême de don sacrificiel de soi qui, sous cet aspect, est agréable au Père et satisfait éminemment pour le désordre du péché. Sans être personnellement coupable ni châtié par Dieu pour les péchés des autres, Jésus s’identifie par amour à l’humanité pécheresse et éprouve la douleur de l’égarement de l’humanité par rapport à Dieu[145]. Dans sa douceur, Jésus permet à ses ennemis de vider sur lui leur ressentiment. Rendant l’amour pour la haine, et consentant à souffrir comme s’il était coupable, Jésus rend l’amour miséricordieux de Dieu présent dans l’histoire et ouvre une voie par laquelle la grâce de la rédemption peut se répandre sur le monde.

 

[40] L’œuvre de la rédemption s’accomplit dans la vie ressuscitée du Sauveur. En ressuscitant Jésus des morts, Dieu l’établit comme source de vie pour la multitude. La résurrection est l’effusion de l’amour créateur de Dieu dans l’espace vide créé par l’auto-abnégation « kénotique » de Jésus. Par le Christ ressuscité agissant dans le Saint-Esprit, le processus de la rédemption se poursuit jusqu’à la fin des temps chaque fois que de nouveaux individus sont pour ainsi dire « greffés » au Corps du Christ. Les pécheurs sont rachetés quand ils s’ouvrent à la généreuse auto-donation de Dieu dans le Christ ; quand, avec l’aide de sa grâce, ils imitent son obéissance et quand ils mettent leur espérance de salut dans l’incessante miséricorde de Dieu en son Fils. Bref, être racheté, c’est entrer en communion avec Dieu par solidarité avec le Christ. Dans le Corps du Christ, les murs de séparation sont progressivement détruits et la paix est atteinte.

 

4. Perspectives systématiques

 

a) L’identité du Rédempteur : qui est le Rédempteur ?

 

[1] Si l’on part, d’une part, des concepts de péché ou d’état déchu et, d’autre part, de ceux de grâce et de divinisation, il apparaît manifestement que la nature humaine déchue n’était pas en mesure de réparer par elle-même sa relation rompue avec Dieu ni de rentrer en amitié avec lui. Il fallait donc que le vrai Rédempteur fût divin. Il convenait pourtant hautement que l’humanité prît une part active dans la réparation de sa propre faute collective. Selon les mots de Thomas d’Aquin, « un pur homme ne pouvait pas satisfaire pour tout le genre humain ; Dieu, quant à lui, ne devait pas satisfaire ; il fallait donc (oportebat) que Jésus-Christ fût à la fois Dieu et homme[146] ». Selon la foi chrétienne, Dieu n’a pas supprimé le péché de l’homme sans la participation de l’humanité en la personne du nouvel Adam, en qui tout le genre humain devait être régénéré.

 

[2] La rédemption est donc un processus impliquant à la fois la divinité et l’humanité du Christ. S’il n’était pas divin, il ne pourrait pas prononcer le jugement effectif de pardon de Dieu et il ne pourrait pas davantage donner part à l’intime vie trinitaire de Dieu. Et s’il n’était pas homme, Jésus-Christ ne pourrait pas faire réparation au nom de l’humanité pour les offenses commises par Adam et par la postérité d’Adam. C’est uniquement en raison de ses deux natures qu’il pouvait être la Tête, en son rôle représentatif, qui offre satisfaction pour tous les pécheurs et qui leur confère la grâce.

 

[3] En tant qu’œuvre de Dieu ad extra, la rédemption peut être attribuée aux trois personnes divines ensemble, mais considérée sous différents rapports elle est attribuée distinctement à chacune d’elles. L’initiative par laquelle le Fils et l’Esprit sont envoyés dans le monde est attribuée au Père, Source sans principe de qui découlent toutes bénédictions. Le Fils, dans la mesure où il s’incarne et meurt sur la croix, effectue le renversement par lequel nous passons de l’inimitié à l’amitié avec Dieu. Le Saint-Esprit, envoyé dans l’esprit et le cœur des croyants, les rend capables de participer personnellement aux bienfaits de l’action rédemptrice de Dieu. Après l’Ascension du Christ, le Saint-Esprit rend présents, dans et par l’Église, les fruits de l’œuvre rédemptrice du Christ[147].

 

[4] Qui est le Rédempteur ? On ne peut répondre à cette question que du sein de l’Église et par l’Église. Connaître le Rédempteur, c’est faire partie de l’Église. Augustin l’a souligné dans son enseignement sur le Christ total, Christus totus, Tête et membres ensemble. Comme l’a exprimé Grégoire le Grand, « notre Rédempteur s’est montré comme ne faisant qu’une seule et même personne avec l’Église qu’il a faite sienne[148] ». La vie de l’Église comme Corps du Christ ne doit pas être amputée de la vie de la Tête. Jean Eudes offre une première approche pour signifier la singularité du Rédempteur : « Nous devons continuer et accomplir en nous les états et mystères de Jésus, et le prier souvent qu’il les consomme et accomplisse en nous et en toute son Église […]. Car le Fils de Dieu a dessein de mettre une participation, et de faire comme une extension et continuation de ses mystères en nous et en toute son Église[149]. » La Constitution Gaudium et spes (no 22) exprime cette singularité du Rédempteur embrassant toutes choses : « En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné. Adam, en effet, le premier homme, était la figure de Celui qui devait venir, le Christ Seigneur. Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation. […] Parce que, en lui, la nature humaine a été assumée, non absorbée, par le fait même cette nature a été élevée en nous aussi à une dignité sans égale. Car, par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme. Il a travaillé avec des mains d’homme, il a agi avec une volonté d’homme ; il a aimé avec un cœur d’homme. » Le pape Jean-Paul II a fait écho à cet enseignement dans son encyclique Redemptor hominis (no 13, § 3) : « Jésus-Christ s’est uni à chacun [à chaque homme], pour toujours, à travers ce mystère [de la rédemption]. »

 

[5] Par l’incarnation du Verbe, nous pouvons déjà discerner la singularité du Rédempteur dans sa puissance rédemptrice. Dans le mystère pascal, le Rédempteur a rendu le salut accessible à tous : « Et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes[150]. » Le don de la Pentecôte acheva de rendre ses apôtres et ses disciples capables de reconnaître qui était et ce qu’était Jésus, tandis que dans la vie fraternelle de l’Église (l’enseignement, la fraction du pain, les prières[151]) ils prenaient conscience de tout ce que Jésus avait fait pour eux, de ce qu’il leur avait enseigné et commandé. Tel est précisément le rôle du Saint-Esprit dans la théologie johannique[152].

 

[6] Comme hommes, nous pouvons par conséquent parvenir à savoir qui est le Rédempteur, mais seulement au sein de la communauté de l’Église et par elle. Le Christ ne peut pas être isolé de l’Église. Le Christ est précisément Celui qui nourrit son Corps comme Église et qui amène ainsi la communauté des croyants à travailler à la réalisation du salut. Il y aurait également erreur à faire peser sur l’Église une autonomie qu’elle ne pourrait assumer par elle-même.

 

[7] La singularité du Christ doit être comprise au sein de cette « constellation christologique » qui prend forme concrète dans l’Église. Le mystère de Pâques forme le cadre de l’année liturgique de l’Église[153]. En vertu de l’objectivité de leur foi (fides quae) et en accord avec leurs propres possibilités dans la communauté ecclésiale, les chrétiens sont invités à confesser et à prêcher le Christ comme le seul et unique Rédempteur du monde de telle manière que l’Église est le sacrement de salut universel. L’événement « Christ » sera rendu accessible par l’Église dans la mesure où cette Église perçoit, explique et prêche la singularité du Rédempteur.

 

[8] Communauté (koinonia) vivant du mystère de Pâques, l’Église rend présent le seul et unique Rédempteur quand elle accueille tous ceux qui font l’expérience de la justification en Christ dans le baptême ou dans le sacrement de la réconciliation, et qui veulent vivre de la rédemption. Mais ici nous devons également tenir compte du fait que la communion à l’offrande (prosphora) du Christ implique aussi de partager ses souffrances[154] ; cette souffrance avec le Christ, qui s’exprime à la fois sacramentellement et dans la vie effective des chrétiens, contribue à l’édification de l’Église et elle est donc rédemptrice.

 

[9] La signification de la rédemption et la singularité du Rédempteur sont révélées par les actes qui sont constitutifs de l’Église en ce monde : martyria, diakonia et leiturgia. Comme koinonia du Seigneur, l’Église appelle l’humanité à un mode de vie désintéressé et oblatif(prosphora) qui a pour fondement principal l’Eucharistie mais aussi la communion des saints où Marie occupe une place spéciale. La foi vécue de l’Église donne de savoir qu’il existe un lien intersubjectif entre les rachetés et le seul et unique Rédempteur : cela peut s’exprimer objectivement dans d’authentiques affirmations théologiques. Ces affirmations, quand elles partent de la réalité objective du Rédempteur, peuvent renforcer la vie de foi de chaque personne et lui donner une forme précise. Par exemple, la célébration du dimanche comme Jour de la Résurrection de Celui qui fut crucifié est très ancienne et indissociable de la connaissance de la singularité du Rédempteur.

 

[10] La part de l’Église dans l’œuvre rédemptrice accomplie par le Christ se vérifie éminemment en la personne de Marie, Mère de l’Église. Par une grâce particulière, elle fut préservée de tout péché ; son association à l’œuvre rédemptrice du Christ culmina lors de la crucifixion où « elle souffrit cruellement avec son Fils unique, associée d’un cœur maternel à son sacrifice, donnant à l’immolation de la victime, née de sa chair, le consentement de son amour[155] ». Pour reprendre les mots de Jean-Paul II, « par la mort rédemptrice de son Fils, la médiation maternelle de la servante du Seigneur a atteint une dimension universelle […]. La coopération de Marie participe, dans son caractère subordonné, à l’universalité de la médiation du Rédempteur, l’unique médiateur[156] ».

 

[11] Le Père a fait de nous ses enfants en ce sens qu’il nous a rachetés par la volonté humaine du Christ. Par le fait que le Christ a obéi à la volonté du Père et qu’il a donné sa vie pour la multitude[157], sa personne et son œuvre de rédemption dans le monde acquièrent une signification et une dignité uniques et incomparables. L’acte par lequel le Christ se livre pour nous est la continuation de son « être à partir du Père ». Cette relation singulière, de par sa nature même, ne peut être théologiquement intégrée à aucune autre religion, bien que l’œuvre de la rédemption soit accessible à tous. Que la volonté humaine du Christ comme Rédempteur soit historiquement conditionnée n’exclut pas de soi la possibilité qu’elle soit humainement sui generis ; c’est peut-être là ce qu’entend la Lettre aux Hébreux par l’expression « apprenant l’obéissance », une obéissance que le Christ accomplit radicalement dans le mystère de sa Pâque. Puisque cette volonté humaine du Christ comme Rédempteur est en plein accord avec la volonté divine (« non pas ma volonté, mais que ta volonté soit faite »), le Christ est aussi, comme médiateur incarné, notre avocat dans le sanctuaire céleste[158].

 

[12] La notion selon laquelle le Rédempteur se donne lui-même pour tous dépend indubitablement du mystère pascal, mais elle n’en dépend pas moins du mystère de l’incarnation et des mystères de la vie du Christ qui sont pour les chrétiens une invitation et un exemple à mener leur vie comme filii in Filio[159]. Ici, il devient clair que la vie chrétienne possède une dimension trinitaire. Dans le processus de la justification que le croyant peut recevoir dans l’Église, l’expérience chrétienne « passe » avec le Rédempteur dans la sanctification de la vie rachetée, qui est guidée et perfectionnée (de façon plus intense que dans la justification) par le Saint-Esprit. Cela signifie que, par le Christ dans l’Esprit, nous sommes invités à partager dès maintenant la vie divine de la Trinité. Le don du Père, c’est-à-dire la personne de son Fils et la participation au Saint-Esprit, interdit donc un pélagianisme qui voudrait que la nature humaine se justifie par ses propres ressources ; il exclut pareillement un quiétisme qui engagerait trop peu la personne humaine.

 

[13] La Tradition considère très justement la vie chrétienne comme une préparation à la communion éternelle avec Dieu. En ce sens, nous cheminons « dans la chair » vers notre seul et unique Seigneur, le Rédempteur, afin d’être un jour plus pleinement unis à lui. La singularité du Rédempteur se révèle cependant dans la vie des croyants ici et maintenant. En ce monde marqué à la fois par la bonté de la création et par le péché de la chute, les chrétiens s’efforcent, en imitant le Christ, de vivre la rédemption et de la transmettre. Leur vie vertueuse et l’exemple d’un mode de vie chrétien permettent à d’autres de découvrir, à toute époque, qui est le seul et unique Rédempteur de ce monde. L’évangélisation, c’est précisément cela.

 

b) L’humanité déchue et rachetée.

 

[14] La foi chrétienne en la rédemption est avant tout foi en Dieu. En Jésus-Christ, son propre et unique Fils incarné, « celui que les hommes appellent Dieu » (saint Thomas d’Aquin) se révèle en se révélant lui-même comme le seul et vrai Sauveur à qui tous peuvent s’en remettre. En même temps, cependant, il faut remarquer que ce Dieu Sauveur révèle aussi l’humanité à elle-même : sa propre condition est donc radicalement située et constamment appelée à se définir en rapport au salut qui est offert.

 

[15] Comment la condition humaine est-elle éclairée par le salut que Dieu lui offre en Jésus-Christ ? Comment l’humanité apparaît-elle au regard de la rédemption ? La réponse pourrait éclairer la situation humaine historique, mais comme nous l’avons remarqué dans notre première partie, elle est aussi fortement contrastée.

 

[16] On pourrait dire qu’en regard de la rédemption qu’offre Jésus, l’humanité découvre qu’elle est (1) fondamentalement orientée vers le salut et (2) profondément marquée par le péché.

 

L’humanité orientée vers le salut.

[17] Voici la première lumière que la rédemption apportée par le Christ jette sur l’humanité : il la révèle à elle-même comme simultanément destinée au salut et capable de l’accueillir.

 

[18] Toute la tradition biblique est remplie de situations dans lesquelles le peuple d’Israël, ou les groupes de pauvres qui sont appelés à devenir le peuple d’Israël, furent amenés à rechercher et à confesser leur Dieu grâce à des interventions par lesquelles Dieu les sauve de la détresse et de la perdition. Depuis les hauts faits de l’Exode où le Seigneur est intervenu à main forte et à bras étendu, jusqu’au pardon donné au cœur brisé et contrit, il est clair pour le peuple de Dieu et pour tout croyant que Dieu se révèle lui-même dans la mesure où il apparaît comme apportant le salut.

 

[19] Mais, corrélativement, il est aussi clair que Dieu intervient et se révèle ainsi lui-même en fonction d’un besoin de salut clairement exprimé dans ses vraies dimensions à ceux qui bénéficient du salut que Dieu leur donne. Cette caractéristique générale de la révélation biblique trouvera son point culminant dans le Nouveau Testament.

 

[20] Dieu fut tellement fidèle à son « engagement » en faveur de l’humanité, à son dessein d’alliance avec l’humanité, qu’« au temps marqué » il envoya son Fils unique. Autrement dit, Dieu ne se contenta pas d’intervenir de « l’extérieur » au moyen d’intermédiaires, c’est-à-dire en restant à distance de ceux qu’il voulait sauver. En Jésus-Christ, Dieu vint parmi eux, Dieu devint l’un d’eux. Le Père envoya son Fils unique, dans le Saint-Esprit, pour partager la condition humaine en toutes choses (excepté le péché) de façon à établir la communication avec l’humanité. Cela devait permettre à l’humanité de recouvrer pleinement la faveur de Dieu et d’entrer pleinement dans la vie divine. Le résultat en est que la condition humaine se voit elle-même dans une perspective totalement nouvelle.

 

[21] La condition humaine apparaît d’abord comme l’objet d’un amour qui peut aller « jusqu’à l’extrême » : la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ, alors que nous étions pécheurs, « est mort pour nous[160] » ; et « si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Lui qui n’a pas épargné son propre Fils mais l’a livré pour nous tous, ne nous refusera pas toute faveur[161] ».

 

[22] C’est donc une destinée de plénitude qui attend l’humanité, conformément à la volonté salvifique que Dieu a manifestée à son égard en son Fils, lui qui s’est incarné, est mort et est ressuscité des morts. À cela s’ajoute la radicalité de la nature du salut que Dieu réserve à l’humanité en Jésus-Christ : l’humanité est invitée à entrer à son tour dans le dynamisme du mystère pascal de Jésus, le Christ. D’une part, ce salut prend la forme d’une filiation dans l’Esprit du Christ, Jésus le Fils. Attirés et soutenus par l’Esprit (auquel ils participent par les sacrements), les croyants sont appelés à vivre dans la foi et l’espérance leur condition de fils du Père qui est aux cieux, mais avec le devoir d’accomplir sa volonté sur la terre, en aimant et en servant leurs frères avec amour.

 

[23] D’autre part, si les expériences d’espoir et de tristesse, les souffrances même de ce monde ne leur sont pas épargnées, ils savent que la grâce de Dieu (la présence active de son amour et de sa miséricorde en eux) les accompagnera en toutes circonstances. Et, s’ils doivent aussi faire l’expérience de la mort, ils savent qu’elle ne mettra pas un terme à leur destinée car ils possèdent la promesse de la résurrection des corps et de la vie éternelle.

 

[24] Bien que l’humanité puisse sembler très pauvre et indigne, nous ne devons pas en conclure qu’elle n’aurait aucun prix aux yeux de Dieu. Au contraire, la Bible nous rappelle constamment que si Dieu intervient en faveur de l’humanité, c’est précisément parce qu’il considère que les êtres humains sont dignes de son intervention. On relèvera par exemple l’assurance donnée à Israël au fond de sa souffrance : « Parce que tu as du prix à mes yeux, que tu comptes beaucoup et que moi, je t’aime[162]. »

 

[25] En d’autres termes, selon la foi biblique et chrétienne, malgré tout ce qui est négatif dans l’humanité, il demeure en elle quelque chose qui est capable d’être sauvé, parce que capable d’être aimé par Dieu lui-même et, en conséquence, aimé par lui. Comment cela se peut-il et comment l’homme peut-il en prendre conscience ?

 

[26] La réponse biblique et chrétienne est donnée dans la doctrine de la création. Selon cette doctrine, l’humanité et le monde n’ont aucun droit à exister et pourtant ils ne sont pas le fruit du « hasard et de la nécessité ». Ils existent parce qu’ils ont été appelés à être. Ils ont été appelés quand ils n’existaient pas encore, de sorte qu’ils pussent advenir. Ils ont été appelés à partir du non-être pour être donnés à eux-mêmes et pour exister ainsi en eux-mêmes.

 

[27] Mais, si telle est la condition native de l’homme en ce monde, une condition qui le définit précisément comme prédicateur [de ce message], il en découle d’importantes conséquences que la foi explicite.

 

[28] Dieu ne crée pas l’humanité sans intention. Il la crée pour la même raison que les interventions divines dans l’histoire révèlent : par amour pour l’humanité et pour son bien. Disons-le plus précisément : Dieu crée la personne humaine pour faire alliance avec elle, en vue de la faire participer à sa vie même. En d’autres termes, s’il y a création, c’est pour la grâce, pour la vie de Dieu, avec Dieu et pour Dieu.

 

[29] Si Dieu nous appelle à une destinée qui dépasse manifestement nos forces humaines, puisqu’elle ne peut être que pure grâce, il n’en demeure pas moins vrai que cette destinée doit correspondre à ce qu’est l’homme en tant que tel. Sinon, la personne qui est appelée à être sauvée serait différente de celle qui reçoit le don de Dieu et qui bénéficie de la grâce ! En ce sens, tout en respectant la gratuité de la grâce, la nature humaine est ordonnée au surnaturel et s’accomplit dans et par lui, de telle manière que la nature de l’humanité est ouverte au surnaturel (capax Dei).

 

[30] Cela n’ayant de sens que dans le contexte d’une alliance, il faut également remarquer que Dieu n’impose pas sa grâce à l’humanité : il l’offre simplement. Néanmoins, cela comporte un risque. Usant de la liberté que Dieu lui a donnée, l’homme peut ne pas toujours agir en harmonie avec les intentions de Dieu et détourner à ses propres fins et pour sa propre gloire les talents donnés par Dieu.

 

[31] Dieu a accordé ces dons afin que le désir qui pousserait l’humanité à le chercher et à le trouver comme unique accomplissement vienne de la personne humaine elle-même. Certes, l’homme peut toujours réorienter le dynamisme de sa nature et le mouvement de son cœur. Il reste pourtant vrai que l’homme a été et restera fait pour l’amour de Dieu : pour la grâce et le salut que Dieu veut pour lui.

 

L’humanité dans le péché.

[32] La rédemption apportée par le Christ nous fournit un second point de vue sur l’humanité dans sa condition historique : (1) si les aspects négatifs qui la caractérisent résultent aussi du péché de l’homme, (2) cela ne remet pas en cause la fidélité de Dieu à son amour créateur et sauveur.

 

[33] Comme en toute expérience commune, la foi doit tenir compte des aspects négatifs de la condition humaine. Elle ne peut ignorer que, dans l’histoire, tout ne se déroule pas conformément aux intentions de Dieu Créateur. Cela n’invalide pourtant pas la foi : le Dieu en qui nous proclamons notre foi est digne de confiance. Non seulement Dieu n’a pas renoncé à son intention première, mais il a pris les moyens de restaurer, d’une manière souverainement admirable, ce qui avait été compromis. Intervenant en Jésus-Christ, il s’est montré fidèle à lui-même malgré l’infidélité de l’homme, son partenaire.

 

[34] En envoyant son propre Fils sous forme humaine, Dieu Créateur du monde et Sauveur a supprimé tout motif de douter du dessein divin d’une alliance de salut.

 

[35] Cette manifestation de la fidélité de Dieu à son alliance fait ressortir les aspects négatifs de la condition humaine, et par conséquent dévoile l’étendue et la profondeur du besoin de salut du genre humain.

 

[36] En effet, si Dieu a dû envoyer son Fils unique pour restaurer son dessein de salut fondé dans l’acte même de la création, c’est parce que ce dessein avait été radicalement compromis : sa réussite est liée à ce « recommencement » qu’Irénée appelait « récapitulation ». Si le Fils s’est incarné pour réinstaurer l’alliance de Dieu, c’est parce que cette alliance avait été brisée non par la volonté de Dieu mais par la volonté des êtres humains. Et si, pour la réinstaurer, le Fils incarné a dû faire la volonté du Père, s’il a dû se faire obéissant jusqu’à la mort et même la mort de la croix, c’est parce que la véritable source du malheur humain réside dans sa désobéissance, son péché, son refus de marcher dans les voies de l’alliance offerte par Dieu.

 

[37] Ainsi, l’incarnation, la vie, la mort et la résurrection du propre Fils de Dieu, tout en révélant l’amour de Dieu Sauveur, révèlent en même temps la condition humaine à elle-même.

 

[38] Si Jésus apparaît comme l’unique voie de salut, c’est parce que l’humanité a besoin de lui pour être sauvée et parce que, sans lui, elle est perdue. Il nous faut donc reconnaître que tous les peuples et le monde entier ont été « enfermés dans le péché[163] » et qu’il en a été ainsi « dès le commencement ». Par conséquent, on peut dire que Jésus est apparu pour « restaurer » la condition humaine de façon radicale, c’est-à-dire parun nouveau commencement.

 

[39] On pourrait dire que le Christ constitue un « commencement » davantage qu’Adam lui-même. L’Amour « originaire » est plus important que le péché « originel », puisque le genre humain n’a pleinement pris connaissance de l’étendue et de la profondeur du péché qui affecte sa condition qu’au moment où, en Jésus, furent révélées « la longueur, la largeur, la hauteur et la profondeur[164] » de l’amour de Dieu pour tout le genre humain.

 

[40] Si Dieu a envoyé son Fils pour rouvrir les portes du salut à tous, c’est bien parce qu’il n’a pas changé d’attitude envers eux ; le changement n’est intervenu que du côté du genre humain. L’alliance que le Dieu d’amour a voulue dès le commencement fut compromise par le péché de l’homme : un conflit est donc apparu entre, d’une part, le plan de Dieu, et, d’autre part, les désirs et la conduite des hommes[165].

 

[41] En refusant l’invitation de Dieu dès le commencement, l’humanité a dévié de sa véritable destinée et les événements de l’histoire portent la marque d’un éloignement par rapport à Dieu et à son projet d’amour ; l’histoire, de fait, porte la marque d’un refus de Dieu.

 

[42] La venue du Fils unique de Dieu au cœur de l’histoire humaine révèle que Dieu veut poursuivre la mise en œuvre de son dessein malgré les oppositions qu’il rencontre. Tout en prenant en compte la gravité du péché et ses conséquences du côté de l’homme (le « mystère d’iniquité »), le mystère du Christ, particulièrement sa Croix, est la claire et définitive révélation de la nature gratuite, radicalement miséricordieuse et eschatologiquement victorieuse de l’amour de Dieu.

 

[43] On peut mentionner ici le thème traditionnel, patristique et augustinien, des « deux Adam ». On ne peut certes pas les mettre au même plan mais leur rapprochement traditionnel est pourtant riche de sens. Les principaux passages pauliniens qui établissent ce parallèle[166] l’emploient pour mettre en relief la dimension universelle tant du péché que du salut. Dans sa mise en œuvre, ce parallèle est dominé par l’idée du « combien davantage » qui fait pencher la balance en faveur du Christ et du salut : si le premier Adam possède une dimension universelle dans l’ordre de la chute, combien davantage le second Adam a-t-il acquis cette dimension dans l’ordre du salut. Cela s’applique à la portée universelle aussi bien qu’à l’efficacité eschatologique du salut qu’il communique.

 

[44] C’est donc ainsi qu’apparaît la condition humaine : divisée entre les deux Adam. Et c’est ainsi que la foi chrétienne interprète la situation « contrastée » que chacun, même en dehors du contexte de la foi, peut reconnaître comme une caractéristique de la condition historique de la personne humaine. Immergée dans une histoire de péché, de désobéissance et de mort résultant de ses origines en Adam, l’humanité est appelée à entrer dans la solidarité du nouvel Adam que Dieu a envoyé : son propre Fils, qui est mort pour nos péchés et qui est ressuscité pour notre justification. La foi chrétienne affirme clairement qu’avec le premier Adam le péché a proliféré, et qu’avec le second Adam la grâce a surabondé[167].

 

[45] Le cours entier de l’histoire humaine et le cœur de chaque personne sont la scène où se joue, entre les deux Adam, le drame du salut et de la vie de tous les hommes, ainsi que de la grâce et de la gloire de Dieu.

 

c) Le monde sous la grâce rédemptrice.

 

L’humanité sous le signe de la Rédemption.

[46] Ce fut d’abord pour secourir les hommes que le Fils de Dieu s’est fait notre frère[168], semblable à nous en toutes choses excepté le péché[169]. En accord avec certains auteurs patristiques (parmi lesquels Irénée et Athanase, comme nous l’avons signalé plus haut dans la troisième partie), on peut affirmer que, bien qu’une « incarnation collective » soit exclue, l’incarnation du Logos affecte la nature humaine dans son entier. Dans la mesure où l’un des membres de la famille humaine est le propre Fils de Dieu, tous les autres ont été élevés à la nouvelle dignité d’être ses frères et sœurs. La nature humaine que le Christ a assumée a conservé son identité de créature : pour cette raison précisément, la nature humaine a été elle-même élevée à un rang supérieur. Comme on le lit dans la Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps : « Par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme[170] ». En tant que « second Adam », le Christ récapitule l’humanité devant Dieu, il devient la Tête d’une famille renouvelée et restaure l’image de Dieu dans sa vérité première. En révélant le mystère de l’amour du Père, le Christ révèle pleinement l’humanité à elle-même et dévoile la vocation suprême de tout homme[171].

 

[47] Dans son rapport à leur destinée ultime, l’œuvre rédemptrice du Christ affecte tous les hommes car tous sont appelés à la vie éternelle. En versant son sang sur la croix, le Christ a fondé une nouvelle alliance, un régime de grâce qui est destiné à toute l’humanité. Chacun de nous peut dire avec l’Apôtre : « Il m’a aimé et s’est livré pour moi[172]. » Chacun est appelé à partager, par adoption, la propre filiation du Christ. Dieu n’adresse pas cet appel sans donner la capacité d’y répondre. C’est ainsi que Vatican II peut enseigner qu’il n’est pas un homme, pas même celui qui n’a jamais entendu parler de l’évangile, qui ne soit touché par la grâce du Christ[173]. « Nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal[174]. » Tout en respectant pleinement les voies mystérieuses de la Providence divine à l’égard de ceux qui n’ont pas été évangélisés, l’attention se concentre ici sur la révélation du plan du salut qui manifeste les intentions miséricordieuses de Dieu et la façon dont Dieu est glorifié comme il convient.

 

La réponse de la foi.

[48] La première condition pour entrer dans la nouvelle alliance de grâce est d’avoir une foi modelée sur celle d’Abraham[175]. La foi est la réponse fondamentale à la Bonne Nouvelle de l’Évangile. Nul ne peut être sauvé sans la foi qui est le fondement et la racine de toute justification[176].

 

[49] Pour la vie de la foi, il ne suffit pas d’acquiescer mentalement au contenu de l’Évangile ou de mettre sa confiance en la miséricorde divine. La rédemption ne se saisit de nous que lorsque nous acquérons une existence nouvelle fondée dans une obéissance aimante[177]. Une telle existence correspond à la conception classique de la foi vivifiée par la charité[178].

 

[50] Par le baptême, sacrement de la foi, le croyant est intégré au Corps du Christ, délivré du péché originel et assuré de la grâce rédemptrice. Le croyant « revêt » le Christ et marche dans la vie nouvelle[179]. Une prise de conscience renouvelée du mystère du baptême, comme mort au péché et résurrection à la vie véritable dans le Christ, peut permettre aux chrétiens de faire l’expérience de la réalité de la rédemption et d’obtenir la joie et la liberté de la vie dans le Saint-Esprit.

 

Libération.

[51] Le baptême est le sacrement de la libération du péché et de la renaissance dans la liberté nouvellement choisie. Libéré du péché par la grâce de Dieu qui suscite la réponse de la foi, le croyant commence le parcours de la vie chrétienne. Par la foi suscitée par la grâce, le croyant est libéré du pouvoir du mal et confié à Jésus-Christ, le maître qui accorde la liberté intérieure. Il ne s’agit pas d’une simple liberté d’indifférence qui autorise tout choix possible, mais d’une liberté de conscience qui invite les hommes, illuminés par la grâce du Christ, à obéir à la loi la plus profonde de leur être et à observer la règle de l’Évangile.

 

[52] C’est seulement par la lumière de l’Évangile que la conscience peut être formée à suivre la volonté de Dieu sans contrainte pour sa liberté. Comme l’enseigne Vatican II : « Tous les hommes sont tenus de chercher la vérité, surtout en ce qui concerne Dieu et son Église ; et, quand ils l’ont connue, de l’embrasser et de lui être fidèles. De même encore, le saint concile déclare que ces devoirs concernent la conscience de l’homme et l’obligent, et que la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance[180]. »

 

[53] Les membres vivants du Corps du Christ sont constitués amis de Dieu et héritiers dans l’espérance de la vie éternelle[181]. Ils reçoivent les prémices du Saint-Esprit[182] dont la charité est répandue dans leur cœur[183]. Une telle charité, fructifiant en obéissance et en bonnes œuvres[184], renouvelle les croyants de l’intérieur, les rendant capables d’adhérer librement à la loi nouvelle de l’Évangile[185]. La grâce du Saint-Esprit donne la paix intérieure ; elle procure la joie et l’aisance à croire et à observer les commandements.

 

Réconciliation.

[54] La libération du péché par la rédemption en Christ réconcilie la personne avec Dieu, avec le prochain et avec toute la création. Puisque le péché originel et le péché actuel sont essentiellement une révolte contre Dieu et contre la volonté divine, le salut réinstaure la paix et la communication entre l’homme et le Créateur : on fait l’expérience de Dieu comme Père qui pardonne et qui accueille son enfant revenu. Saint Paul insiste éloquemment sur cet aspect de la réconciliation : « Si donc quelqu’un est dans le Christ, c’est une création nouvelle ; l’être ancien a disparu, un être nouveau est là. Et tout vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par le Christ […]. Car c’était Dieu qui, dans le Christ, se réconciliait le monde, ne tenant plus compte des fautes des hommes, et mettant sur nos lèvres la parole de réconciliation. […] Nous vous en supplions au nom du Christ : laissez-vous réconcilier avec Dieu[186]. »

 

[55] La parole de l’Évangile réconcilie ceux qui se sont révoltés contre la loi de Dieu et indique un nouveau chemin d’obéissance au plus profond d’une conscience éclairée par le Christ. Les chrétiens doivent se réconcilier avec leur prochain avant de se présenter eux-mêmes à l’autel[187].

 

[56] Le sacrement de pénitence et de réconciliation permet un retour sanctifiant au mystère du baptême ; il constitue la forme sacramentelle de la réconciliation avec Dieu et représente la réalité effective de son pardon grâce à la rédemption donnée dans le Christ.

 

[57] Dans l’Église, les chrétiens font continuellement l’expérience du mystère de la réconciliation. Recouvrant la paix avec Dieu et obéissant aux commandements de l’Évangile, ils mènent une existence réconciliée avec les autres personnes, avec lesquelles ils sont appelés à faire communauté. Réconciliés avec le monde, ils ne violent plus sa beauté ni ne redoutent ses pouvoirs. Ils cherchent plutôt à protéger et à contempler ses merveilles.

 

Communion.

[58] Affermie par la réconciliation avec Dieu, avec le prochain et avec la création, la libération du péché permet aux chrétiens de trouver la véritable communion avec leur Créateur qui est devenu leur Sauveur. Par cette communion, ils mettent en œuvre leurs potentialités latentes. Aussi grands que soient les pouvoirs créatifs et intellectuels de la nature humaine, ils ne peuvent réaliser la plénitude que la communion avec Dieu rend possible. Communier à la personne du Rédempteur revient à communier au Corps du Christ qui est la communion de tous les baptisés dans le Christ. La rédemption a donc un caractère social : c’est dans et par l’Église, le Corps du Christ, que l’homme est sauvé et trouve la communion avec Dieu.

 

[59] Uni aux croyants baptisés de tous les temps et de tous les lieux, le chrétien vit dans la communion des saints qui est une communion de personnes sanctifiées (les sancti) par la réception des réalités saintes (les sancta) : la Parole de Dieu et les sacrements de la présence et de l’action du Christ et du Saint-Esprit.

 

Lutte et souffrance.

[60] Tous ceux qui vivent dans le Christ sont appelés à participer activement au déploiement continu de la rédemption. Incorporés au Corps du Christ, ils prolongent son œuvre et entrent ainsi en union plus étroite avec lui. De la même façon que le Christ fut signe de contradiction, chaque chrétien et l’Église dans son ensemble deviennent signes de contradiction dans leur combat contre les forces du péché et de la destruction, au milieu de la souffrance et de la tentation. Les fidèles sont unis au Seigneur par leurs prières[188], leurs œuvres[189] et leurs souffrances[190], les unes et les autres ayant une valeur rédemptrice quand elles sont unies à l’action du Christ lui-même et assumées par elle. Puisque toute action méritoire de l’homme est inspirée et guidéepar la grâce divine, Augustin a pu affirmer que Dieu veut que ses dons deviennent nos mérites[191].

 

[61] La communion des saints comporte un échange de souffrances, d’honneurs et de joies, de prières et d’intercessions parmi tous les membres du Corps du Christ, y compris ceux qui nous ont précédés dans la gloire. « Si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui ; si un membre est à l’honneur, tous les membres se réjouissent avec lui. Or vous êtes le Corps du Christ, et membres chacun pour sa part[192]. »

 

[62] Dans la perspective de la réconciliation mutuelle des chrétiens dans le Corps du Christ, la souffrance de chacun est une participation à la souffrance rédemptrice du Christ. En souffrant au service de l’Évangile, le chrétien complète en sa chair ce qui manque aux épreuves du Christ « pour son Corps qui est l’Église[193] ». Les fidèles ne fuient pas la souffrance mais ils trouvent en elle un réel moyen de s’unir à la croix du Christ. Elle devient pour eux une forme d’intercession par le Christ et l’Église. Accepter de souffrir avec le Crucifié fait partie de la rédemption. Les épreuves extérieures sont allégées par la consolation des promesses de Dieu et par un avant-goût des bienfaits éternels.

 

Solidarité ecclésiale.

[63] La rédemption comporte un aspect ecclésial dans la mesure où l’Église a été instituée par le Christ « afin de perpétuer l’œuvre salutaire de la rédemption[194] ». Le Christ a aimé l’Église comme son épouse et il s’est livré pour la sanctifier[195]. Par le Saint-Esprit, le Christ se rend présent dans l’Église qui est « le germe et le commencement du Royaume [de Dieu] sur terre[196] ». Bien qu’entachée par le péché et les divisions de ses membres qui souvent ne parviennent pas à refléter le vrai visage du Christ[197], l’Église demeure néanmoins, dans sa plus profonde réalité, le Temple saint dont les fidèles sont les « pierres vivantes[198] ». Elle cherche constamment à se purifier afin d’apparaître clairement comme le « sacrement universel » du salut[199], signe et instrument de l’union des hommes entre eux et avec Dieu[200]. L’Église est chargée d’annoncer le message du salut et d’actualiser l’événement du salut dans la célébration des sacrements.

 

[64] Les différentes étapes de la rédemption se déploient dans l’Église où doivent se réaliser la libération, la réconciliation et la communion déjà décrites. La vie dans la sainte Église, Corps du Rédempteur, permet aux chrétiens d’obtenir une guérison progressive de leur nature blessée par le péché. En solidarité avec les autres croyants dans l’Église, le chrétien fait l’expérience d’une libération progressive de tous les esclavages qui l’aliènent et il découvre une vraie communauté qui triomphe de l’isolement.

 

[65] La vie de la foi fortifie les chrétiens dans l’assurance que Dieu a pardonné leurs péchés et qu’ils ont trouvé communion et paix entre eux. La vie spirituelle de chacun s’enrichit par le partage de la foi et de la prière dans la communion des saints.

 

[66] Dans la célébration de l’Eucharistie, le chrétien trouve la plénitude de la vie de l’Église et de la communion au Rédempteur. Dans ce sacrement, les fidèles rendent grâce pour les dons de Dieu, ils s’unissent à l’offrande que Jésus a faite de lui-même et prennent part au mouvement salvifique de sa vie et de sa mort. Dans l’Eucharistie, la communauté est affranchie du poids du péché et revivifiée à la source même de son existence. « Toutes les fois que se célèbre sur l’autel le sacrifice de la croix, dans lequel “le Christ notre Pâque a été immolé” (1 Co 5, 7), s’accomplit l’œuvre de notre rédemption[201]. » La participation à l’Eucharistie nourrit chaque chrétien et l’intègre au Corps du Christ, l’insérant plus profondément dans la communion libératrice de l’Église.

 

[67] La communion eucharistique confère le pardon des péchés dans le sang du Christ. Remède d’immortalité, ce sacrement supprime les effets du péché et procure la grâce d’une vie plus haute[202].

 

[68] L’Eucharistie comme sacrifice et communion est une anticipation du Royaume de Dieu et du bonheur de la vie éternelle. Cette joie s’exprime dans la liturgie eucharistique qui permet au chrétien de vivre, au plan du mémorial sacramentel, les mystères du Rédempteur qui libère, pardonne et unit les membres de l’Église.

 

Sanctification.

[69] Libérés du péché, réconciliés et vivant en communion avec Dieu et avec l’Église, les fidèles font l’expérience d’un processus de sanctification qui commence au baptême par la mort au péché et l’entrée dans la vie nouvelle avec le Christ ressuscité. En écoutant la Parole de Dieu et en participant aux sacrements et à la vie de l’Église, le chrétien est progressivement transformé selon la volonté de Dieu et configuré à l’image du Christ pour porter les fruits de l’Esprit.

 

[70] La sanctification est une participation à la sainteté de Dieu qui, par la grâce reçue dans la foi, modifie peu à peu l’existence humaine pour la configurer au Christ. Cette transfiguration peut connaître des hauts et des bas, selon que l’homme obéit aux incitations de l’Esprit ou succombe à nouveau aux séductions du péché. Même après le péché, le chrétien est relevé par la grâce des sacrements et amené à progresser en sainteté.

 

[71] Toute la vie chrétienne est comprise et résumée dans la charité, l’amour désintéressé pour Dieu et le prochain. Saint Paul appelle la charité « fruit du Saint-Esprit[203] » et il indique ensuite tout ce qu’implique cette charité, tant dans sa liste des fruits du Saint-Esprit[204] que dans son hymne à la charité[205].

 

Société et cosmos.

[72] Les effets de la rédemption débordent le cadre de la vie intérieure et des relations mutuelles parmi les chrétiens dans l’Église. Ces effets se déploient à l’extérieur dans la mesure où la grâce du Christ tend à apaiser tout ce qui conduit au conflit, à l’injustice et à l’oppression, et ils apportent ainsi leur contribution à ce que le pape Paul VI appelait la « civilisation de l’amour ». Les « structures de péché » érigées par la soif de profit personnel ne peuvent être vaincues qu’« en se dépensant pour le bien du prochain et en étant prêt, au sens évangélique du terme, à “se perdre” pour l’autre[206] ». L’amour désintéressé du Christ, transformant la vie des croyants, brise le cercle vicieux de la violence humaine. La véritable amitié crée un climat favorable à la paix et à la justice, contribuant ainsi à la rédemption de la société.

 

[73] Il reste vrai que, comme plusieurs papes l’ont fait observer, la rédemption ne peut pas être réduite à la libération dans l’ordre socio-politique[207]. « Ces cas de péché social sont le fruit, l’accumulation et la concentration de nombreux péchés personnels[208]. » Les changements de structures sociales, s’ils améliorent le sort des pauvres, ne peuvent pas par eux-mêmes vaincre le péché ou infuser la sainteté, ce qui est au cœur du dessein rédempteur de Dieu et qui est aussi, en un sens, son but[209]. Corrélativement, ceux qui souffrent de la pauvreté et de l’oppression, autant de maux qui n’ont pas été épargnés au Christ lui-même, peuvent recevoir en abondance la grâce rédemptrice de Dieu et être comptés parmi les pauvres que le Christ a appelés bienheureux[210].

 

[74] La rédemption a une dimension cosmique parce qu’il plaît à Dieu, par le Christ, « de se réconcilier tous les êtres, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix[211] ». Paul parle de la création entière qui, dans les douleurs de l’enfantement, gémit intérieurement dans l’attente de la rédemption qui la libérera pour partager la glorieuse liberté des enfants de Dieu[212]. Le Livre de l’Apocalypse, à la suite d’Isaïe, parle d’« un ciel nouveau et une terre nouvelle » comme effet ultime de la rédemption[213]. L’Église, dans sa liturgie du Vendredi Saint, chante que les cieux et les mers ont été purifiés par le sang du Christ (terra, pontus, astra, mundus / quo lavantur flumine : Pange lingua).

 

Perspectives eschatologiques.

[75] La réception de la rédemption dans la vie présente est fragmentaire et incomplète. Nous possédons les prémices de l’Esprit mais nous gémissons encore avec toute la création « dans l’attente de la rédemption de notre corps. Car c’est en espérance que nous sommes sauvés. Or voir ce qu’on espère n’est plus espérer. Ce que l’on voit, comment l’espérer encore ? Mais espérer ce que nous ne voyons pas, c’est l’attendre avec persévérance[214] ».

 

[76] Bien que les fidèles chrétiens reçoivent le pardon des péchés et l’infusion de la grâce de telle sorte que le péché ne règne plus en eux[215], leurs tendances au péché ne sont pas totalement vaincues. Les marques du péché, y compris la souffrance et la mort, demeureront jusqu’à la fin des temps. Ceux qui conforment leur vie à celle du Christ dans la foi sont assurés que, à travers leur propre mort, il leur sera accordé de participer définitivement à la victoire du Sauveur ressuscité.

 

[77] Les chrétiens doivent constamment combattre la présence du mal et de la souffrance sous de multiples formes dans le monde et la société, en promouvant la justice, la paix et l’amour, et en essayant de procurer bonheur et bien-être à tous.

 

[78] La rédemption n’atteindra son plein accomplissement que lorsque le Christ réapparaîtra pour établir son Royaume final. Alors, il présentera au Père les fruits impérissables de son combat. Les saints du ciel partageront la gloire de la nouvelle création. La présence divine imprégnera toute la réalité créée ; toutes choses rayonneront de la splendeur de l’Éternel, de telle sorte que « Dieu soit tout en tous[216] ».

 


* L’étude de la théologie de la rédemption fut proposée aux membres de la Commission théologique internationale par Sa Sainteté le pape Jean-Paul II en 1992. Une sous-commission fut constituée pour préparer cette étude, composée des professeurs Jan Ambaum, Joseph Doré, Avery Dulles, Joachim Gnilka, Sebastian Karotemprel, Mgr Michael Ledwith (président), Francis Moloney, Max Thurian et Lászlo Vanyo. Des débats de caractère général eurent lieu sur ce thème lors de plusieurs rencontres de la sous-commission et lors des sessions plénières de la Commission théologique internationale tenues à Rome en 1992, 1993 et 1994. Ce texte a été approuvé in forma specifica par vote de la Commission le 29 novembre 1994 puis soumis à son président, S. Ém. le cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et président de la Commission théologique internationale, qui en autorisa la publication. La Commission théologique internationale n’entend pas apporter ici de nouveaux éléments théologiques mais plutôt, en fournissant une synthèse des approches théologiques contemporaines, offrir un point de référence sûr au débat et à l’exploration en cours de cette question.

Le texte original de ce document est en anglais. Nous reproduisons ici, avec un bon nombre de corrections et de modifications, ainsi que des adaptations éditoriales, la traduction publiée dans La Documentation catholique 93 (1996), p. 707-731. Une version officielle latine a été publiée : « Quaestiones selectae de Deo Redemptore », Gregorianum 78 (1997), p. 421-476.

[1] Gn 1, 31.

[2] « Fides quaerens intellectum. »

[3] Voir 2 Co 10, 5.

[4] 2 Th 2, 7.

[5] Le jardin (genna) de la suprême béatitude.

[6] Voir Jn 2, 25.

[7] Ph 4, 7.

[8] Voir par exemple Gn 1-11 ; Mc 13, 1-37 ; Ap 22, 20.

[9] Rm 8, 23.

[10] Saint Augustin, Confessions, I, 1, 1 (CCSL 27, p. 1).

[11] Voir Ex 21, 2.7 ; Dt 25, 7-10.

[12] Voir Dt 25.

[13] Voir Lv 25 ; Nb 35, 9-34.

[14] Voir Ex 21, 2 ; Lv 25 ; Jr 34, 8-22 ; Dt 15, 9-10.

[15]Voir Ex 21, 29-30 (hébreu : kofer ; grec : lutron).

[16] Voir Gn 37, 26-27 ; 44, 33-34.

[17] Voir Gn 32, 21.

[18] Voir Lv 17, 10.12.

[19] Voir Lv 17, 11.

[20]Voir Ex 32, 7-14.30-34 ; 33, 12-17 ; 34, 8-9 ; Nb 14, 10-19 ; Dt 9, 18-19 ; Am 7 ; Jr 15, 1 ; Is 53, 12 ; 2 M 15, 12-16.

[21] Ex 1-15.

[22] Voir notamment Est 14, 3-19 ; Rt 1, 15-18.

[23] Voir par exemple Ps 74, 2 ; 77, 16.

[24] Voir par exemple Ps 103, 4 ; 106, 10 ; 107 ; 111, 9 ; 130, 7.

[25] Voir Mc 1, 5.

[26] Voir par exemple Lc 15.

[27] Voir Mc 14, 36.

[28]Voir Mc 8, 31 ; 9, 31 ; 10, 32-34.

[29] Voir Mc 1, 16-20.

[30]Voir Mc 2, 15-17 ; 14, 17-31 ; Lc 5, 29-38 ; 7, 31-35.36-50 ; 11, 37-54 ; 14, 1-24 ; 19, 1-10.

[31] Voir Mc 2, 15-17 ; Lc 5, 27-32 ; 15, 2 ; 19, 7.

[32] Mc 11, 15-19 ; Mt 21, 12-13 ; Lc 19, 45-48 ; Jn 2, 13-22.

[33] Voir Mc 14, 17-31 ; Mt 26, 20-35 ; Lc 24, 14-34.

[34] Voir Jn 19, 30 : Consummatum est !

[35] Voir Jn 3, 16.

[36] Voir Jn 3, 14 ; 8, 28 ; 12, 32-33.

[37] Voir Jn 11, 4 ; 12, 23 ; 13, 1 ; 17, 1-4.

[38] Jn 15, 13.

[39] Jn 19, 37.

[40] Voir par exemple Jb 2, 4 ; Qo 9, 4 ; Is 38, 18 ; Ps 6, 5 ; 16, 10-11 ; 73, 27-28.

[41] Voir Dn 12, 5-13 ; Sg 3, 1-13.

[42] Voir Mt 22, 31-32.

[43] Voir 1 Co 1, 22-25.

[44] Voir 4 M.

[45] Voir Ex 24 ; Mt 26, 27-28 ; 1 Co 11, 23-26 ; He 9, 18-21.

[46] Voir He 9, 22.

[47] « Ephapax » : voir Rm 6, 10 ; He 7, 27 ; 9, 12 ; 10, 10.

[48] Voir Rm 5, 8-10.

[49] Rm 3, 24-25.

[50] Voir Ps 2, 8.

[51] Voir Rm 5, 13-18 ; Ph 2, 8 ; voir également He 10, 5.

[52] Voir également 1 P 1, 18-20.

[53] Voir Mt 1, 21 ; 3, 17 ; 4, 1.10 ; Lc 1, 35 ; 4, 14.18 ; Jn 1, 32.

[54] Voir Lc 23, 46.

[55] He 9, 14.

[56] Voir Rm 8, 15 ; Ga 4, 6.

[57] Jn 19, 30.

[58] He 5, 8-10.

[59] Voir Gn 1, 26-27.

[60] Voir Col 1, 15.

[61] Voir Rm 6, 5-11 ; He 9, 11-12 ; He 10, 10.

[62] Voir Rm 5, 12-21.

[63] Voir Rm 6, 1-21.

[64] Rm 7, 7-25.

[65] Rm 8, 1-13.

[66] Voir Rm 6, 10-11.

[67] Voir Phm, notamment 15-17.

[68] Voir Ga 3, 28.

[69] Voir 1 Co 13 ; Ga 5, 22-26.

[70] Ep 2, 14.

[71] Rm 5, l.

[72] Rm 7, 24.

[73] Rm 7, 25.

[74] Col 1, 15-20.

[75] Voir Rm 8, 18-23.

[76] He 4, 11.

[77] He 2, 10.

[78] Voir He 3, 5-6.

[79] He 7, 1-28.

[80] He 2, 10-15.

[81] He 9, 24 ; 7, 25.

[82] Rm 8, 24-25.

[83] Ap 21, 3-5.

[84] Voir 2 Co 1, 22 ; 5, 5 ; Ep 1, 13-14.

[85] Ap 22, 20.

[86] Voir Rm 5, 12.

[87] « La chair est la charnière du salut. »

[88] Saint Ignace d’Antioche, Aux éphésiens, 7, 2 (SC 10 bis, p. 64-65).

[89] Saint Clément de Rome, Aux Corinthiens, 59, 4 (SC 167, p. 196-197).

[90] Lettre à Diognète, IX, 6 (SC 33, p. 74-75).

[91] Origène, Contre Celse, II, 67 (SC 132, p. 442-445).

[92] « Christ enseignant » (« Christ maître »), « Verbe enseignant » (« Verbe maître »).

[93] Saint Justin, Apologie II, 5 [6], 6 (SC 507, p. 334-335).

[94] Athénagore, Supplique au sujet des chrétiens, XXV, 3-4 (SC 379, p. 168-169).

[95] Saint Justin, Dialogue avec Tryphon, 30, 3. [Pour une édition critique avec trad. française récente, voir Justin Martyr, Dialogue avec Tryphon, éd. et trad. Ph. Bobichon, Fribourg (Suisse), 2003, p. 256-257.]

[96] Saint Irénée, Adversus Haereses, V, 1, 1 (SC 153, p. 16-21).

[97] Ibid., V, Praefatio (SC 153, p. 14) : « uti nos perficeret esse quod est ipse ».

[98] Ibid., I, 10, 1 (SC 264, p. 154-157) ; ibid., III, 16, 6 (SC 211, p. 310-315).

[99] Ibid., V, 7, 2 (SC 153, p. 90-91).

[100] Saint Athanase, De Incarnatione Verbi, 7 (SC 199, p. 286-289).

[101] Saint Athanase, Oratio II contra Arianos, 68-69 (PG 26, col. 292A-296A).

[102] Saint Grégoire de Nazianze, Discours 38, 13 (SC 358, p. 130-135) ; Id., Lettre 101, 13-15 (SC 208, p. 40-43).

[103] Saint Grégoire de Nazianze, Discours 30, 21 (SC 250, p. 272-273).

[104] Saint Grégoire de Nazianze, Discours 12, 4 (SC 405, p. 354-357) ; Id., Discours 30, 6 (SC 250, p. 236-239).

[105] Saint Grégoire de Nazianze, Discours 12, 4 (SC 405, p. 354-357) ; Id., Lettre 101, 32 (SC 208, p. 50-51).

[106] Saint Grégoire de Nysse, Antirrheticus adversus Apolinarium, 16 (Gregorii Nysseni Opera, vol. 3/1, éd. F. Müller, Leyde, 1958, p. 151-152).

[107] Saint Augustin, In Iohannis Evangelium Tractatus CXXIII, 5 (CCSL 36, p. 680). [« Lui-même s’est fait brebis afin de souffrir pour tous. »]

[108] Voir par exemple saint Ambroise, De Incarnationis Dominicae sacramento (CSEL 79, p. 225-281) ; Id., De Mysteriis (CSEL 73, p. 89-116) ; Id., De Sacramentis (CSEL 73, p. 15-85) ; Id., De Paenitentia (CSEL 73, p. 119-206) ; Id., De sacramento regenerationis sive de philosophia (Sancti Ambrosii Opera, éd. P. A. Ballerini, t. 4, Milan, 1879, p. 905-908).

[109] Saint Augustin, De gratia Christi et de peccato originali, XXV, 29 (CSEL 42, p. 188-189).

[110] Saint Augustin, De natura et gratia, XXIII, 25 et XXX, 34 (CSEL 60, p. 250-251 et p. 258) ; Id., De Trinitate, XIV, 15, 21 (CCSL 50, p. 449).

[111] Saint Augustin, Enchiridion, X, 33 (CCSL 46, p. 67-68).

[112] En latin : figura ; en grec : heterosis.

[113] Saint Augustin, Enchiridion, X, 33 et XIII, 41 (CCSL 46, p. 67-68 et p. 72-73).

[114] Saint Augustin, De Trinitate, XIII, 14, 18 - 15, 19 (CCSL 50, p. 406-408).

[115] Saint Anselme, Cur Deus homo (Pourquoi un Dieu homme), livre II, chap. 18. [Trad. française tirée de : L’Œuvre d’Anselme de Cantorbéry, t. III, trad. Michel Corbin, Paris, 1988, p. 458-461.]

[116] Saint Anselme, ibid. [p. 460-461].

[117] Pierre Abélard, Sermo 9 (PL 178, col. 447).

[118] Saint Thomas d’Aquin, Summa theologiaeIIIa, q. 14, a. 1, ad 1 ; voir Supplementum, q. 14.

[119] Saint Thomas d’Aquin, Summa theologiaeIIIa, q. 48, a. 2, corpus.

[120] Ibid., q. 46, a. 1, corpus et ad 3.

[121] Tout ce qu’il « a fait et reçu (souffert) dans la chair ».

[122] CTI, « Questions choisies de christologie » (1979), dans Commission théologique internationale, Textes et documents (1969-1985), Paris, Éd. du Cerf, 1988, p. 220-241, ici p. 237.

[123] M. Luther, Commentaire sur les Galates (1535), dans Id., Œuvres, t. XV, Genève, 1969, p. 282-283 (WA 40/1, 434, 7-9).

[124] Ibid., p. 282 (WA 40/1, 433, 26-29).

[125] Ibid., p. 283 (WA 40/1, 435, 17-19).

[126] Ibid., p. 282 (WA 40/1, 434, 7-9).

[127] J. Calvin, Institution de la religion chrétienne, livre II, chap. 16, 6 (Genève, 1955, p. 264-265).

[128] Ibid., livre II, chap. 16, 5 (p. 263).

[129] Ibid., livre II, chap. 16, 10 (p. 268-269).

[130] H. Grotius, Defensio fidei catholicae de satisfactione Christi (1617) ; voir B. Sesboüé, Jésus Christ l’unique médiateur, t. I : Problématique et relecture doctrinale, Paris, 1988, p. 71.

[131] Concile de Trente, Décret sur la justification, chap. 7 (DS 1528-1531).

[132] Ibid. ; voir également le canon 11 (DS 1561).

[133] A. Ritschl, Die christliche Lehre von der Rechtfertigung und Versöhnung, vol. 3, Bonn,1874.

[134] F. Schleiermacher, Der christliche Glaube nach den Grundsätzen der evangelischen Kirche im Zusammenhang dargestellt, Zweite Auflage (1830-1831), § 101 (réédition critique : Walter de Gruyter, Berlin, 2003, p. 112) : « Der Erlöser nimmt die Gläubigen auf in die Gemeinschaft seiner ungetrübten Seligkeit, und dies ist seine versöhnende Thätigkeit ».

[135] R. Bultmann, « Nouveau Testament et mythologie », dans Id., L’interprétation du Nouveau Testament, trad. O. Laffoucrière, Paris, 1955, p. 139-183, ici p. 175. [Original allemand : « Neues Testament und Mythologie », 1941.]

[136] P. Tillich, L’Existence et le Christ, Théologie systématique, Troisième partie, Lausanne, 1980, p. 207. [Original anglais : Systematic Theology, vol. 2, Chicago, 1957, p. 176.]

[137] P. Tillich, L’Existence et le Christ, Théologie systématique, Troisième partie, p. 207-208. [Systematic Theology, vol. 2, p. 176.]

[138] La doctrine de la rédemption dans la théologie de la libération peut être étudiée dans des ouvrages comme ceux de Gustavo Gutiérrez, Teología de la liberación (1971), Leonardo Boff, Jesus Cristo Libertador (1972) et Jon Sobrino, Cristología desde América Latina(1976).

[139] K. Rahner, Traité fondamental de la foi, Paris, 1983, p. 220-223. [Original allemand : Grundkurs des Glaubens, Fribourg-en-Brisgau, 1976, p. 193-195.]

[140] K. Rahner, Traité fondamental de la foi, p. 317. [Grundkurs des Glaubens, p. 276-277.]

[141] K. Rahner, Traité fondamental de la foi, p. 319. [Grundkurs des Glaubens, p. 278.]

[142] A. Pieris, « The Place of Non-Christian Religions and Cultures in the Evolution of Third World Theology », dans Irruption of the Third World : Challenge to Theology, V. Fabella et S. Torres (éd.), Maryknoll (N. Y.), 1983, p. 133.

[143] P. F. Knitter, « Toward a Liberation Theology of Religions », dans The Myth of Christian Uniqueness : Toward a Pluralistic Theology of Religions, J. Hick et P. F. Knitter (éd.), Maryknoll (N. Y.), 1987, p. 178-200, ici p. 187.

[144] Les ouvrages de Matthew Fox illustrent beaucoup de ces thèmes, notamment son livre La Grâce originelle, Introduction à la spiritualité de la création, Paris, Québec, 1995. [Original américain : Original Blessing : A Primer in Creation Spirituality, Santa Fe (N. M.), 1983 ; édition augmentée, 1990.]

[145] Voir Catéchisme de l’Église catholique, no 603.

[146] Saint Thomas d’Aquin, Summa theologiaeIIIa, q. 1, a. 2, corpus.

[147] Les rapports entre les missions du Fils et du Saint-Esprit dans le mystère de la rédemption sont explorés par Jean-Paul II dans la Lettre encyclique Dominum et vivificantem, spécialement aux nos 11, 14, 24, 28 et 63.

[148] Grégoire le Grand, Morales sur Job, Préface VI, 14 (SC 32 bis, p. 162-163, traduction légèrement modifiée) ; pour de plus amples références, voir le Catéchisme de l’église catholique, no 795.

[149] Cité dans le Catéchisme de l’église catholique, no 521 ; pour l’ensemble de cette question, voir les nos 512-570.

[150] Jn 12, 32.

[151] Ac 2, 42.

[152] Voir Jn 16, 13-15.

[153] Voir Vatican II, Constitution Sacrosanctum Concilium sur la sainte liturgie, nos 102-104.

[154] Voir Col 1, 24.

[155] Vatican II, Constitution dogmatique Lumen gentium sur l’Église, no 58.

[156] Jean-Paul II, Lettre encyclique Redemptoris Mater, no 40.

[157] Voir Mc 14, 24 ; 10, 45. Voir CTI, « La conscience que Jésus avait de lui-même et de sa mission » (1985), Deuxième proposition, dans Commission théologique internationale,Textes et documents (1969-1985), Paris, Éd. du Cerf, 1988, p. 369-372.

[158]He 5, 8-9 ; 9, 24 ; voir les Prières eucharistiques.

[159] Voir Rm 8, 15-17.

[160] Rm 5, 8.

[161] Rm 8, 31-32.

[162] Is 43, 4.

[163] Ga 3, 22.

[164] Ep 3, 18.

[165] Rm 5, 12.

[166] Rm 5, 12-15 et 1 Co 15, 21-22.45-47.

[167] Voir le Catéchisme de l’église catholique, no 412 (qui cite Rm 5, 20), et saint Thomas d’Aquin, Summa theologiaeIIIa, q. 1, a. 3, ad 3.

[168] He 2, 17.

[169] He 4, 15.

[170] Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes, no 22 ; voir Jean-Paul II, Lettre encyclique Redemptor hominis, nos 8, 13 et passim.

[171] Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes, no 22 ; Jean-Paul II, Lettre encyclique Veritatis splendor, no 2.

[172] Ga 2, 20.

[173] Vatican II, Constitution dogmatique Lumen gentium sur l’Église, no 16.

[174] Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes, no 22.

[175] Rm 4, 1-25.

[176] Concile de Trente, Décret sur la justification, chap. 8 (DS 1532).

[177] Rm 16, 26 ; voir Jean-Paul II, Lettre encyclique Veritatis splendor, nos 66 et 88.

[178] Voir le concile de Trente, Décret sur la justification, chap. 7-9 (DS 1530-1534).

[179] Rm 6, 4.

[180]Vatican II, Déclaration Dignitatis humanae sur la liberté religieuse, no 1 ; voir no 10.

[181] Concile de Trente, Décret sur la justification, chap. 7 (DS 1528-1531).

[182] Rm 8, 23.

[183] Rm 5, 5 ; voir Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes, no 22.

[184] Concile de Trente, Décret sur la justification, chap. 7-10 (DS 1530-1535).

[185] Ibid., chap. 11 (DS 1536).

[186] 2 Co 5, 17-20.

[187] Voir Mt 5, 24.

[188] 2 Co 1, 11 ; 1 Tm 2, 1-4.

[189] 1 Co 3, 9-14.

[190] Voir 2 Co 4, 10-11 ; Col 1, 24.

[191]Saint Augustin, De gratia et libero arbitrio, VIII, 20 (PL 44, col. 893) ; voir concile de Trente, Décret sur la justification, chap. 16 (DS 1548).

[192] 1 Co 12, 26-27.

[193] Col 1, 24.

[194] Vatican I, Constitution dogmatique Pastor aeternus sur l’église, Préambule (DS 3050).

[195] Ep 5, 25-26.

[196] Vatican II, Constitution dogmatique Lumen gentium sur l’Église, no 5.

[197] Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes, no 19.

[198] 1 P 2, 5 ; voir Vatican II, Constitution dogmatique Lumen gentium sur l’Église, no 6.

[199] Vatican II, Constitution dogmatique Lumen gentium sur l’Église, no 48.

[200]Ibid., no 1.

[201] Ibid., no 3.

[202] Saint Ignace d’Antioche, Aux Éphésiens, 20, 2 (SC 10 bis, p. 77).

[203] Ga 5, 22.

[204] Ga 5, 22-23.

[205] 1 Co 13, 4-7.

[206] Jean-Paul II, Lettre encyclique Sollicitudo rei socialis, no 38.

[207] Paul VI, Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi sur l’évangélisation dans le monde moderne, nos 32-35.

[208] Jean Paul II, Exhortation apostolique Reconciliatio et paenitentia, no 16.

[209]Voir 1 Th 4, 3 ; Ep 1, 4.

[210] Mt 5, 3.

[211] Col 1, 20.

[212] Rm 8, 19-25.

[213] Ap 21, 1 ; voir Is 65, 17 ; 66, 22.

[214] Rm 8, 23-25.

[215] Rm 5, 21 ; voir 8, 2.

[216] 1 Co 15, 28.

 

 

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Contribution de Maître Eckhart au Dialogue Interreligieux
  • Maître Eckhart, philosophe, théologien dominicain, est le chef de file de la mystique Rhéno-Flamande de la fin du XIII ème siècle. Son œuvre, par ses idées et la culture qu'elle véhicule, faciliterait, le dialogue entre Catholicisme et religions d'Asie.
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